MUGEFCI, un spécialiste de la protection sociale charge le Conseil d’administration : "Seul un audit extérieur et indépendant peut dire la vérité"





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Donatien Robé est spécialiste de la protection sociale, auteur de plusieurs livres dont le dernier est « propositions pour la Côte d’Ivoire sociale » paru aux éditions les impliqués du groupe l’harmattan. Nous l’avons rencontré pour évoquer les questions de protection sociale en Côte d’Ivoire.

-M. Robé, peut-on dire que la Côte d’Ivoire est un pays social, c’est-à-dire un pays où la protection sociale est efficace ?

La Côte d’Ivoire n’est pas un pays social pour la simple raison qu’autour de 90 % des personnes y vivant n’ont pas encore une couverture sociale. Mais ça, c’est malheureusement spécifique à toute l’Afrique subsaharienne. Le défi à relever pour changer les choses est la formalisation de l’économie.

-Il existe pourtant un système de retraite et une couverture maladie universelle en Côte d’Ivoire…

La Côte d’Ivoire compte aujourd’hui quatre branches de sécurité sociale avec l’arrivée de la CMU : Les Branches famille, retraite, maladies professionnelles et accidents de travail et enfin maladie. Non seulement ces branches ne sont pas étendues à plus de 10 % de la population, ne couvrant que les acteurs de l’économie formelle, mais leur profondeur en termes d’efficacité reste limitée.

-La CMU selon vous n’est donc pas efficace ?

 Les Ivoiriens attendent toujours ce projet en termes d’efficacité. J’ai bon espoir que tout s’améliorera. C’est sans doute une question de temps. Donnons du temps aux dirigeants actuels de la CNAM pour améliorer les choses.

- Ce sont bientôt les élections à la MUGEF-CI pour le renouvellement du conseil d’administration et on vous voit très impliqué dans la campagne. Quel est votre intérêt alors que vous n’êtes pas fonctionnaire ?

La MUGEF-CI fait partie de mon champ de compétence. Je suis intéressé par ce qui s’y passe pour la simple raison que c’est une mutuelle créée par l’État de Côte d’Ivoire en 1973,  qui y a investi beaucoup d’argent du contribuable. C’est donc un bien public auquel tout Ivoirien, même non fonctionnaire, doit s’intéresser.

Comment expliquez-vous qu’à chaque élection il y ait toujours des problèmes au point où l’État soit obligé de s’impliquer dans le processus électoral ?

Il faut savoir qu’à sa création en 1973 par décret, la MUGEF-CI était une direction centrale du ministère de la fonction publique. Être nommé(e) à la tête de la MUGEF-CI était donc une promotion à la fonction publique, avec tous les avantages liées à la fonction. Du coup, en 1989, quand l’État a fait le choix de laisser la gouvernance de cette mutuelle aux syndicats sous la pression des bailleurs de fonds dans le cadre des programmes d’ajustement structurel (PAS), le poste de PCA est resté un poste convoité, toujours en raison des avantages. Les mauvaises habitudes liées à la gestion des entreprises publiques en Côte d’Ivoire sont aussi restées. Celui qui vient se sert alors que le mutualiste a du mal à se soigner. Il faut pourtant que ça cesse !

-Comment ?

Il faut moraliser la gestion de la MUGEF-CI. Et l’État doit aider les mutualistes à y parvenir, en instituant systématiquement par exemple un audit à la fin de chaque mandat de 4 ans.

-Vous semblez soutenir Théodore Zadi Gnagna qui brigue le poste de PCA….

En fait, Théodore Zadi Gnagna et moi avons une vraie convergence de vues. Nous sommes pratiquement en phase sur tout, notamment en ce qui concerne la moralisation de la gestion de la MUGEF-CI. Déjà en 2016 dans un de mes livres je critiquais la gestion de la MUGEF-CI et faisais des propositions pour une gestion saine. Ce, avant même cette échéance électorale. Je soutiens ses propositions notamment l’audit, la déclaration des biens avant de prendre fonction et la mise de la MUGEF-CI sous l’autorité de la Haute autorité de la bonne gouvernance. Je soutiens sa volonté de reconstituer le régime de base de la MUGEF-CI avec les économies qui seront faites dans le cadre de la moralisation et la simplification de la gestion de la MUGEF-CI. Cette entreprise ne doit pas être dirigée comme une société anonyme mais comme une entreprise sociale dont les propriétaires et les clients sont les mutualistes. Son conseil d’administration doit fonctionner humblement au profit de l’accès aux soins des mutualistes.

-Que reprochez-vous à l’actuel conseil d’administration avec à sa tête Mesmin Komoé ?

Je lui reproche sa mauvaise gestion de la MUGEF-CI. Cette équipe a pris de mauvaises décisions en matière de gouvernance mutualiste.

-Expliquez-vous !

Quand, alors que 50 % des recettes liées aux cotisations baissent, tout dirigeant mutualiste bien formé, ayant le souci de satisfaire les mutualistes, cherche à baisser les charges pour éviter l’effet ciseaux. Eux préfèrent les augmenter prétextant rechercher d’autres sources de financement en créant une kyrielle de produits facultatifs sur lesquels les mutualistes ne se sont pas rués d’ailleurs. Ils ont aussi mal géré l’institution de la carte dite intelligente. L’après-arrimage a été aussi mal géré. Ils espèrent continuer cette mauvaise gestion avec la candidature de la 2ème vice-présidente soutenue par l’actuel PCA.

-Que reprochez-vous à la CUI ?

J’ai toujours pensé que le principe d’une carte à puce est une innovation. Mais la CMU ayant déjà une carte dite intelligente, et que la MUGEF-CI étant désormais une mutuelle complémentaire dans le cadre de la sécurité sociale publique, cette CUI était-elle indispensable ?  Le régime complémentaire de la MUGEF-CI pouvait être lié à la carte de la CMU comme ça se fait en France ou dans de nombreux pays. En plus, pourquoi lui ajouter un volet porte-monnaie électronique appelé abusivement bancaire qui la rend très coûteuse ? D’ailleurs les mutualistes n’utilisent même pas ce volet dit bancaire.

-Sur l’arrimage, que pouvait faire le CA contre un choix du gouvernement ?

J’ai toujours pris la défense du CA quand certains mutualistes l’accusent d’avoir accepté l’arrimage. Il ne pouvait rien faire. Par contre, ce conseil d’administration porte l’entière responsabilité de la gestion de l’après-arrimage CMU-MUGEF-CI. Au lieu de baisser les charges de fonctionnement notamment celles qui sont compressibles comme les salaires, les missions et autres, il a préféré les augmenter en embauchant par exemple. Il a aussi préféré créer de nouveaux produits facultatifs au lieu d’améliorer le régime complémentaire obligatoire (RCO) qui concerne tous les adhérents. Ce sont de mauvais choix de gestion. Gouverner, c’est être amené à toujours faire des choix. Mais quand les choix s’avèrent mauvais, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître son échec.

-Le PCA actuel de la MUGEF-CI Mesmin Komoé vient de tenir une conférence de presse pour défendre son bilan et répondre aux critiques contre sa gestion. Qu’en pensez-vous ?

Je note que le PCA actuel de la MUGEF-CI a présenté son bilan à la tête de la MUGEF-CI lors de l’assemblée générale du 29 juin 2021. A-t-il le sentiment qu’il n’a pas convaincu les délégués au point d’organiser une conférence de presse pour encore s’expliquer ? Disons qu’il est dans son rôle.  En principe, quand vous avez bien fait votre boulot, vous sentez la satisfaction des mutualistes. S’ils se plaignent dans leur grande majorité des disfonctionnements dans leur parcours de soins, c’est qu’il y a un vrai souci : ils ne sont pas satisfaits. On ne gère pas une mutuelle de santé pour s’auto-satisfaire. Ce sont les mutualistes qui plébiscitent le conseil d’administration. Quand, ne serait-ce que 10 % des adhérents d’une mutuelle se plaignent des disfonctionnements imputables aux choix des dirigeants, c’est qu’il y a un échec. Les mutualistes retiennent que la CUI est un échec. Ils retiennent que le CA n’a pas réduit drastiquement les charges de fonctionnement dans une situation de baisse des recettes. C’est suffisant pour expliquer L’échec.

-En tenant compte des chiffres communiqués le PCA Mesmin Komoé estime qu’il a réussi son mandat. Qu’en dites-vous ?

Pour les chiffres présentés, je voudrais encore dire qu’il est dans son rôle. Il a le droit de défendre son bilan. Il y a les chiffres qui peuvent être en apparence flatteurs, mais il y a ce que vivent les mutualistes dans leur parcours de soins. Si les mutualistes se plaignent malgré un bilan que le conseil d’administration trouve excellent, on peut s’interroger sur le mode d’obtention des chiffres. Je voudrais faire remarquer que tous les dirigeants d’entreprises épinglés par des audits pour manipulation des chiffres ou mauvaise gestion ont toujours clamé qu’ils sont irréprochables. La comptabilité est un jeu d’écritures. Celui qui fait son bilan peut mettre les chiffres où il veut, pourvu qu’il respecte les règles comptables. Il peut justifier tel investissement ou tel contrat. Seul un audit peut tout clarifier. J’exhorte le PCA actuel de la MUGEF-CI à demander spontanément un audit des comptes de la MUGEF-CI au gouvernement. Seul un audit extérieur et indépendant peut dire la vérité, pas lui.

-Selon le PCA, toutes les normes, notamment les ratios exigés par le règlement de L’UEMOA sont respectées. N’est-ce pas la preuve de sa bonne gestion ?

J’ai déjà dit que si les ratios sont respectés alors que de plus en plus de mutualistes se plaignent des disfonctionnements et difficultés d’accès aux soins, c’est qu’il y a un problème quelque part. Selon la présentation du PCA, le taux des dépenses de fonctionnement et celui de sinistralité sont dans les normes. Dans le même document de la MUGEF-CI il est indiqué que les dépenses totales de fonctionnement sont d’environ 12 milliards de FCFA. Selon le PCA, il faut plutôt prendre en compte les dépenses directes de fonctionnement qui sont d’environ 6 milliards de FCFA et non les dépenses indirectes. C’est approximatif puisque les dépenses indirectes sont aussi supportées par la MUGEF-CI. Il aurait fallu qu’on compresse celles qui sont compressibles dans les deux types de dépenses pour réduire les dépenses totales.

-Le taux des dépenses de fonctionnement est tout de même dans les normes. N’est-ce pas déjà l’essentiel ?

Ce taux est de 19 % avec un taux de sinistralité ou de dépenses de prestations de 70 % en 2020.. Selon moi, on aurait pu passer par exemple de 19 % à 14 %. Les 5 points de baisse pouvaient contribuer à relever le taux de sinistralité, en le faisant passer de 70 % à 75 %.

Je remarque aussi qu’on a associé toutes les dépenses de la MUGEF-CI pour calculer le taux de fonctionnement. Du coup, même les mutualistes qui n’ont pas souscrit pour les produits facultatifs supportent leurs charges de fonctionnement. Je rappelle que le CA a embauché pour lancer ces produits facultatifs. Je rappelle aussi que j’ai toujours critiqué la floraison de tous ces produits facultatifs qui ne sont pas performants. Il serait par exemple intéressant de connaître les charges de fonctionnement spécifiques au régime complémentaire obligatoire (RCO) qui concerne, lui, tous les adhérents de MUGEF-CI et dont les cotisations acquises sont de loin la principale ressource de la MUGEF-CI. Il serait aussi intéressant de savoir leur taux par rapport aux cotisations acquises du même RCO qui s’élèvent à environ 20,7 milliards de FCFA. J’estime que si le CA a pu déterminer le taux de sinistralité du RCO, il doit aussi déterminer le taux de fonctionnement du même RCO. Or il ne l’a pas fait, mettant ensemble les dépenses de fonctionnement du régime obligatoire et celles des régimes facultatifs. Il ne l’a pas fait parce qu’il est conscient que ce sont les cotisations du RCO qui soutiennent essentiellement les charges de fonctionnement des produits facultatifs. Et cela est une injustice subie par les adhérents qui ne sont pas souscripteurs des produits facultatifs. Voyez-vous, il y a beaucoup à dire sur les chiffres présentés par le PCA.

Lambert KOUAME avec Sercom

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