Comme son chef qui parle peu pour dire beaucoup de choses justes à l’image des Laconiens, ce grand peuple de la Grèce antique, le PDCI vient de produire un communiqué laconique pour annoncer le report de son congrès extraordinaire. Celui-ci devrait se tenir dans la première moitié de ce mois de décembre 2022. Les raisons de ce report sont claires et tiennent en une phrase qui en dit long sur la dextérité du vieux parti : la demande de la base qui veut se concentrer sur la révision de la liste électorale. Dans un parti politique, c’est la base qui a le dernier mot. En faisant droit aux desiderata de sa base, l’ancien chef de l’Etat montre combien son parti ne porte pas le qualificatif de démocratique par hasard.
Même si le communiqué signé du président du PDCI-RDA en personne annonce un report sine die, sans date précise pour la tenue du congrès extraordinaire, on ne peut reprocher au successeur d’Houphouët d’avoir violé un quelconque texte de loi de son organisation. Une seule phrase a suffi pour régler plusieurs problèmes qui se dressaient sur le chemin déjà rocailleux des organisateurs de ce congrès extraordinaire. Comme on peut bien s’en douter, le sphinx de Daoukro va profiter de la trêve forcée pour ajuster et réajuster, pour rafistoler un tissu social interne affreusement effiloché, détricoté et faire taire toutes les voies dissonantes afin que tous se rendent au congrès, la fleur à la boutonnière.
L’un des problèmes qui secouent depuis quelques années maintenant le parti sexagénaire, c’est la désignation du putatif successeur d’Henri Konan Bédié. Comme dans toutes les organisations politiques, parler de succession c’est parler de guerre de positionnement. Dans ce mouvement, des têtes naissent et disparaissent aussitôt. Pour la simple raison que Bédié, le dirigeant dont le fauteuil fait l’objet de dispute, est un quasi nonagénaire qui n’a de cesse de faire du Bédié. C’est-à-dire, comme son mentor Houphouët, il dort les yeux ouverts et ne se laisse surprendre par aucune actualité. Comme Houphouët, il sait choisir ses hommes. Comme Houphouët, il sait faire le mort pour voir venir l’ennemi, «entendre ce qu’il pense» et frapper juste. Et ce n’est pas tout !
Le PDCI-RDA c’est d’abord et avant tout l’affaire de Félix Houphouët-Boigny qui lui a imprimé un rythme et une cadence tirés de sa propre culture akan : le blê-blê-blê. On ne fait rien dans la précipitation, on respecte le chef, l’aîné mais surtout, du temps de son règne, on ne connaît pas le successeur du chef. Bédié qui est un très bon conservateur, s’est inscrit depuis toujours dans cette tradition et ce n’est pas demain la veille de changement de paradigme chez lui. C’est ce qui explique qu’à presque 90 ans, il trône encore à la tête du parti et rappelle la tradition du PDCI chaque fois que cela est nécessaire. On se souvient, à ce sujet, qu’alors que le militant Djédjé Mady, alors secrétaire général, allait sur ses 75 ans et montrait des velléités de candidature, son patron lui a rappelé qu’il était encore jeune. Ce qui n’a pas manqué de faire sourire plus d’un.
Si Bédié fait du Bédié, en réalité c’est parce que le PDCI fait du PDCI. Les militants de ce parti, notamment les caciques, vous diront que le plus important pour eux, c’est la recherche constante de la stabilité. Et ils vous expliqueront avec beaucoup d’arguments somme toute valables, ce que l’on gagne dans la stabilité. Imprégnés, tous, de la culture akan du blê-blê-blê, ils ne vous diront jamais une chose : la stabilité après laquelle ils courent est quintessentiellement celle du fauteuil du chef. Car là-bas aussi, les réflexions du chef sont prises comme des hadiths du prophète Muhammad de l’islam. On les respecte à la lettre. On s’y attache.
Or la réflexion d’Houphouët selon laquelle en pays akan on ne désigne pas le successeur du chef de son vivant est considérée comme un hadith. Comprenons donc Bédié, si jamais il venait à poser ses mains au sol et à caler ses pieds sur le starting-block de la course à la présidence du PDCI et de la République!
Abdoulaye Villard Sanogo