Dans le débat concernant la cherté de la vie, le ministre du Budget et du Portefeuille de l’Etat, Moussa Sonogo, avait déclaré il y a quelques semaines : "Le renchérissement des prix des produits alimentaires n’est pas le fait de la fiscalité qui est restée inchangée sur ces produits". Cette sortie du membre du gouvernement avait suscité des réactions au sein de la population et plus particulièrement dans le milieu des économistes et autres fiscalistes. Chacun y allant de sa théorie.
Dans les faits, on pourrait entièrement donner raison au ministre. Si on s’réfère à la lecture simple de l’annexe fiscale. Notamment sur l’application de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur certains produits.
En janvier 2021, le directeur général des impôts, Ouattara Sié Abou, intervenant sur la question, avait soutenu : " En effet, l’annexe fiscale à l’ordonnance n° 2011-121 du 22 juin 2011 portant Budget de l’État pour l’année 2011, en son article 4, a expressément étendu l’application du taux réduit de 9 % de la TVA à toutes les catégories de lait. Cette disposition de notre législation fiscale a été prise conformément à la directive n°02/98/CM/UEMOA du 22 décembre 1998 telle que modifiée par la directive n°02/2009/CM/UEMOA du 27 mars 2009 portant harmonisation des législations des États membres en matière de taxe sur la valeur ajoutée. L’article 29 de cette directive dispose que les États membres appliquent le taux réduit à un nombre maximum de dix biens et services choisis sur la liste communautaire. Au nombre de ces biens, figure le lait manufacturé. Ainsi, l’annexe fiscale 2021 n’apporte qu’une précision à ce dispositif". Précisant : "toutefois, dans le but de ne pas renchérir leurs coûts, l’annexe fiscale 2021 a aligné leur taux d’imposition à la TVA sur celui du lait infantile, à savoir 9 %".
Comme on peut le constater, sur une denrée de grande consommation comme le lait, il ne devrait pas y avoir d’augmentation puisque la fiscalité est restée inchangée. Mais sur le terrain, peut-on en dire autant ? Pas si sûr ? Car, dans la fixation des prix des produits, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Soumahoro Farikou, président de la Fédération nationale des commerçants de Côte d’Ivoire (FENACCI), lors d’une conférence de presse à la mairie d’Adjamé, le vendredi 23 juillet 2021, chiffres à l’appui, a expliqué les raisons des augmentations de certaines denrées alimentaires.
" Dans l’annexe fiscale, l’Impôt minimum forfaitaire (IMF) est désormais à 3 millions FCFA. Nous proposions une révision de l’IMF à 1 million FCFA et celui du réel normal d’imposition qui est fixé à 12 millions FCFA à 3 millions FCFA. Nous suggérions 5 % pour les contribuables au droit commun au lieu de 7 % et 4 % pour les adhérents au CGA au lieu de 5 %", a révélé celui qui est également le maire d’Adjamé. Il a ajouté que " le taux de 9 % de TVA sur le riz dit de luxe a entraîné une augmentation des prix de cette denrée. Ce même taux de 9 % sur les viandes importées qui sont des produits de grande consommation, a généré également une flambée des prix de ces viandes destinées à des populations à revenus faibles, sans oublier la taxe compensatoire de 1000 FCFA qui est prélevée sur le kilo de la volaille importée".
Soumahoro Farikou explique ainsi que la TVA de 9 % a entraîné un renchérissement des prix des denrées alimentaires que sont le riz et la viande. Prenant du coup le contre-pied des propos du ministre Moussa Sanogo.
Un économiste que nous avons rencontré donne une autre explication à la hausse des prix des produits de grande consommation. Selon lui, les propos du ministre font référence à la fiscalité directe. Il explique que "c'est la fiscalité indirecte qui est une opération sournoise impactant les prix des denrées". Pour lui, en économie, ça s'appelle "effet de cavalerie". Et de donner un exemple pratique : "on peut maintenir la fiscalité sur le lait. Mais, si le coût de l'emballage, le prix du bétail, la taxe à l'importation des intrants augmentent, le litre de lait va augmenter par effet de cavalerie : augmentation de la fiscalité indirecte".
On retiendra donc que même si, comme le dit le membre du gouvernement, "le renchérissement des prix des produits alimentaires n’est pas le fait de la fiscalité qui est restée inchangée sur ces produits", il n’en demeure pas moins que, d’une manière ou d’une autre, cette dernière a un impact certain sur l’augmentation des coûts des denrées alimentaires. Les mesures prises par le gouvernement pour lutter contre la cherté de la vie pourront-elles être véritablement efficaces si la fiscalité demeure en l’état ?
Modeste KONE