Portrait : Charles Nokan, cet écrivain atypique et pluridimensionnel!





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Charles Nokan, écrivain ivoirien décédé le 1er novembre 2022 à l'âge de 85 ans



Âgé de 85 ans, Charles Zégoua Gbessi Konan, plus connu sous le nom Charles Nokan, a tiré sa révérence le mardi 1er novembre 2022 à Abidjan, la capitale économique de la Côte d'Ivoire. Ce grand homme de littérature laisse un riche et lourd héritage à son pays tant ses productions littéraires sont diverses. L'illustre disparu a trempé sa plume dans l'encre de plusieurs genres littéraires, notamment le théâtre, le roman, la poésie, l'essai et l'autobiographie.

Retour sur la vie de cet homme qui aura marqué sa génération

Né le 28 décembre 1938 à Yamoussoukro, Charles Nokan était titulaire d'une licence en sociologie et docteur en philosophie. Il sort sa première oeuvre de théâtre dénommée Le soleil noir point, aux éditions Présence africaine. En tant que romancier, Charles Nokan est l'auteur de Violent était le vent (Présence africaine, Paris), Abraha Pokou, ou une grande Africaine ; Suivi de : La Voix grave d'Ophimoï (Édition : Honfleur : P.J. Oswald, Paris), Mon chemin débouche sur la grand-route (CEDA, Abidjan), Yassoi refusa l'orange mûre de Nianga (Frat Mat Éditions, Abidjan), et Tout grand changement est un ouragan (Éditions L'encre Bleue, Abidjan). Il est considéré comme l'auteur le plus prolixe de Côte d'Ivoire après feu Bernard Blin Dadié.

Son long itinéraire intellectuel l’a amené à aborder une forme d’expression intégrale, libre délivré de toute peur et de toute frayeur. Il est d’ailleurs membre de la prestigieuse Acadmie des sciences, des arts, des cultures et des diasporas africaines (ASCAD). En 1962, il a publié six autres oeuvres théâtrales. Il a reçu le Prix d'excellence 2022 de la République de Côte d'Ivoire. L'homme de lettres a été l'écrivain à l'honneur lors de la 10e édition du SILA (Salon international du livre d'Abidjan). "Je pense que le livre vit chez nous. Et la qualité de nos écrivains ainsi que de nos éditeurs est reconnue. Il nous faut donc travailler à assurer la continuité et la relève dans ces domaines. Pour moi, le nombre d’espaces dédiés au livre et à la lecture dans un pays est révélateur de ce qu’on veut pour l’avenir. Si on veut que le livre soit au cœur de la famille, que le livre soit vecteur des identités culturelles, on doit changer notre regard vis-à-vis du livre", avait t-il confié dans une interview accordée à un confrère, il y a quelques années.

A l’annonce de son décès, plusieurs écrivains et professionnels du secteur de la littérature ont rendu hommage à cet homme dont l’intégrité ne souffre d’aucune contestation. « Charles Nokan  part riche d’une production abondante qui incorpore romans, pièces de théâtre, poèmes. C’était un intellectuel sans histoire, à l’image de ses livres sans tourments, conduits avec conscience didactique (c’était un enseignant), et surtout dans une ligne idéologique saine et rigoureuse : combattre la suprématie capitaliste, bourgeoise » a témoigné Tiburce Koffi dans une publication sur Facebook.

Il ajoute que l’illustre disparu était le chantre modéré d’une littérature de la libération et du refus de l’asservissement. « Ses textes s’inscrivent dans la thématique marxiste de la lutte des classes. Ils sont à ranger dans l’esthétique du réalisme social qui prospéra dans la Russie du XIX e siècle, en URSS et dans la Chine maoïste. Sans être un stylistique, Nokan est, historiquement, le précurseur de l’écriture dite « nzassa » que professera de manière flamboyante et bellement désordonnée Jean-Marie Adiaffi. Tout différemment de J.-M Adiaffi, Nokan militera, lui, pour une écriture à la fois libre et encastrée dans une sobriété formelle qui était loin de m’exalter », indique t-il.

Selon une autre source médiatique, Charles Nokan était un opposant au président  Houphouët-Boigny,  bien que venant aussi de Yamoussoukro. C'est un homme de gauche, philosophe  et c'est pour pouvoir critiquer Houphouët qui était pourtant son cousin, et sa politique qu'il se faisait appeler Nokan, qui est en réalité Konan.

"Héraut du communisme, il n’était pourtant pas un idéologue hystérique. Il croyait plus en l’engagement individuel qu’aux mouvements de masse (comme les partis politiques). C’était, selon nos sources,  un homme de gauche libre, et surtout sincère. Il portait dans son cœur ses secrets qu’il ne manifestait pas publiquement. Il s’agit par exemple du douloureux souvenir de son incarcération à Assabou. Un fait qui les aura divisés à jamais. Son alter ego dans le champ universitaire était le Pr Barthélémy Kotchy. D’aucuns les traitaient de dogmatiques. J’ai connu Charles Nokan. Il a toujours incarné à mes yeux, le bon stakhanoviste, « bosseur », fidèle à son pays et à l’idéologie qui a forgé son attachante personnalité. Sobre, d’une droiture presque mécanique, il nous a « traversés » de son regard toujours lointain et un tantinet moqueur. Il partageait avec Zadi Zaourou ce sens du dépouillement qui les rendait tragiquement admirables ; et ils furent nos repères à nous autres étudiants contestataires des années 1970", confie Tiburce Koffi.

Selon son entourage, Charles Nokan vivait dans le détachement face aux valeurs matérielles. Il est mort dans le dénuement. Une fin  propre aux intellectuels africains qui se sont murés dans une intégrité qui a résisté aux airs du temps.

Solange ARALAMON

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