Ils faisaient peine à voir ou à écouter, exactement comme un cheval espagnol qui rate une haie en pleine compétition. Ces messieurs et dames, à tort, croyaient dur comme fer que le lendemain de la Saint-Sylvestre était un jour férié comme l’a été le lendemain de la fête de Noël. Ils y étaient préparés. Sérieusement. Certains se sont rendus, comme de coutume, dans leurs villages qui se situent à des centaines de kilomètres d’Abidjan, leur lieu de travail. D’autres ont préparé et fait la fête en ayant à l’esprit qu’ils se reposeraient ce lundi 2 janvier 2023. Puis patatras ! Ils apprennent par des voies autorisées que lundi est jour de travail. Imaginez la panique et les nombreuses moues sur leurs visages.
S’il est vrai que nul n’est censé ignorer la loi, il est tout aussi vrai que la compréhension et la possession d’une loi ne sont pas l’affaire du premier venu. D’abord il faut aux populations faire la différence entre un jour de fête religieuse et un jour de fête païenne. Et ce n’est pas donné. Ensuite il faut savoir que la loi fait une nette distinction entre ces deux entités. Car en Côte d’Ivoire, c’est seulement lorsqu’une fête religieuse tombe sur un jour habituellement de repos comme dimanche que le lendemain est férié. La Saint-Sylvestre n’étant ni une fête chrétienne ni une fête musulmane, même si elle tombe sur un jour habituellement de repos, le lendemain n’est pas férié. C’est donc cette difficile compréhension de la loi et la non moins difficile maîtrise du contexte qui «ont mis ces messieurs et dames dans pain».
Mais il y a plus dur. Sur la presque trentaine de millions d’habitants que compte la Côte d’Ivoire, il y a d’un côté les partisans des religions importées (Chrétiens, Musulmans, Bouddhistes etc.) mais il y a une bonne partie, sans doute la plus grande, qui est restée attachée à nos traditions, rites et cultures. Le feu philosophe Jean-Marie Adiaffi, se référant à sa culture agni, leur a laissé un nom pour la postérité : les Bossonnistes. Ils se recrutent un peu partout sur l’étendue du territoire national. « Du nord au sud, de l’est à l’ouest en passant par le centre ». Pourquoi, alors qu’elle est bien au fait de leur existence, la loi de la République sur les jours fériés ne les prend pas en compte ?
C’est une injustice à réparer qui, dans le même temps, clarifierait ce débat sur les fêtes religieuses et les jours fériés. Cette réparation est d’autant nécessaire que l’on se demande encore aujourd’hui où a dormi le législateur la veille de son arrivée au parlement pour le vote de cette fameuse loi. Car il suffit de faire un tour dans un ou deux villages des régions citées ci-avant, le jour de la fête de Noël et de la Saint-Sylvestre, pour se rendre compte que le passage à la nouvelle année, donc la Saint-Sylvestre, dame le pion aux autres fêtes. Parce que la fête du 31 décembre parle sans témoin et sans traducteur aux Bossonnistes.
Ils savent qu’ils passent d’une année à une autre. « Ils savent que l’année tourne », comme aimait à le dire un anthropologue qui n’est plus parmi nous aujourd’hui. Et ils savent ce que ce tourbillon signifie dans leur vie. Citons encore l’anthropologue : « C’est pour cette raison que pour célébrer cet important moment de leur histoire, ils choisissent de manger ce qu’ils n’ont pas l’habitude de manger. En général, ce sont les nourritures venues de l’étranger. Ce sont les pâtes, les macaronis, du riz gras etc.».
Dans le vaste mouvement de retour aux nations, aux racines, à soi-même qui se dessine sous nos yeux, il est plus que urgent d’être dans l’anticipation pour ne pas être pris de court demain. Ainsi, pour apporter notre pierre à la construction de ce vaste mouvement irréversible, faisons-nous un plaidoyer pour l’intégration de la fête du 31 décembre dans les jours fériés. De mémoire d’Ivoirien, c’est la seule fête, en dehors de la fête nationale, qui rassemble tous les fils et filles du pays, de quelles que religions, ethnies ou races qu’ils soient. C’est une seconde fête nationale. Mais aussi planétaire. Aussi célèbre que le numéro 10 et le nom Pelé. Donnons-lui donc la place qui lui revient. De droit.
Abdoulaye Villard Sanogo