Bien que déterminé à accomplir ses missions, le ministre gouverneur Bacongo devrait mettre au centre de ses actions, l’humanisme
Lors de la cérémonie de lancement officiel de la Brigade de lutte contre le désordre urbain, lundi 22 juillet 2024, le ministre gouverneur du district autonome d’Abidjan, Cissé Ibrahima Bacongo, a réaffirmé son engagement à assainir la capitale ivoirienne selon les directives du président Alassane Ouattara. Cette initiative, bien que largement soutenue sur le plan conceptuel, suscite des critiques croissantes quant à son approche, jugée par certains comme déshumanisante.
L’assainissement de la ville d’Abidjan est un projet ambitieux qui vise à améliorer l’apparence et la fonctionnalité de la ville en éliminant les désordres urbains tels que les constructions illégales, les marchés informels et autres installations non conformes. Le ministre gouverneur Bacongo, chargé de mener cette mission, se trouve au cœur d’une polémique croissante en raison des méthodes employées.
Un engagement louable mais controversé
Le problème majeur réside dans la façon dont les opérations sont menées. Les critiques font état d'une approche brusque, marquée par des démolitions de maisons, de commerces, d'écoles, de mosquées et d'églises sans préavis suffisant, ni compensation adéquate pour les personnes touchées. Cette méthode est perçue par certains comme un manque de respect pour les droits des citoyens et les réalités sociales et locales.
L'un des aspects les plus controversés est la communication autour des opérations de démolition. Les résidents des zones concernées se plaignent de n’avoir reçu aucune information préalable sur les travaux, ce qui engendre confusion et anxiété. Cette absence de dialogue a conduit à des tensions et à des critiques sévères concernant le manque de transparence et de prévoyance dans la gestion de ces projets.
Une communication défaillante
Le récent cas de la démolition de la maison dite « hantée » située à l’Indénié sans en informer les chefs est l’illustration parfaite de quelqu’un qui, enfermé dans une bulle, agit comme il l’entend.
« C’est vrai qu’en matière de sécurité, d’urbanisme, la situation de cette bâtisse pose problème. Si le district doit embellir le lieu, il doit d’abord approcher les ayants- droit et leur expliquer le projet. S’ils n’ont aucune information, si tu viens casser sans qu’ils ne soient informés, ils vont aller là-bas pour faire des libations », tente d’expliquer ce citoyen qui estime que raser cet espace sans que les chefs ne soient informés, est un vice de procédure.
Et de proposer : « Après la démolition, on peut par exemple clôturer et leur léguer leur terrain ».
« Si les citoyens n’ont pas été informés correctement, cela crée des tensions inutiles et des réactions négatives », ajoute un analyste local qui appelle les autorités à engager un véritable dialogue avec les communautés pour expliquer les objectifs des démolitions et les mesures compensatoires concrètes, prévues.
Poursuivant, il a pris l’exemple du quartier « Zimbabwé », situé à Port-Bouët où un matin, dans une mise en demeure en date du 19 juillet, le district somme les populations dudit quartier de libérer « sans délai », le site. Une ferme mise en demeure qui ne prévoit ni prise en charge ni relogement. Et donc fait des pauvres populations, des laissées-pour-compte, dans les angoisses et la peur de la rue.
« Le président a certes demandé d’assainir, mais il n’a pas ordonné à Bacongo de détruire sans égard pour les gens », déclare un observateur politique qui rappelle que lors du Conseil des ministres du 28 février 2024, le président de la République a demandé aux initiateurs de faire preuve de « solidarité et d’humanisme » dans l’exécution des travaux.
« Le chef de l’Etat, sensible à la situation des populations vivant dans ces quartiers, a rappelé les vertus de solidarité et d’humanisme dont nous devons faire preuve dans le cadre de ces opérations d’assainissement de ces quartiers précaires afin de préserver la cohésion et la paix sociales dans notre pays », avait rapporté le porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly, après ce conseil.
L’impact sur les populations et l’économie locale
Le district, dans sa lutte contre ce qu’il appelle « désordre urbain », interdit entre autres, l’usage des charrettes à bras (wottro) à Abidjan sans proposer d’alternative à ces pères de familles qui vivent de cette activité, les obligeant ainsi à végéter. Pour les ménages et les commerçants qui sollicitent les services de ces charretiers, la situation sera compliquée surtout que les voitures ne pourront pas arpenter toutes ces ruelles pour faire les livraisons.
En plus, c’est une manne financière que les mairies perdent parce qu’ils (charretiers) payent la patente. Et pourtant, une simple réorganisation de ce marché informel, pourrait être intégrée dans un cadre mieux structuré plutôt que d’être simplement éliminé. Une alternative pourrait être la création de marchés dédiés, bien aménagés, qui répondraient aux besoins des commerçants tout en préservant l’ordre urbain.
Sinon, il serait difficile d’expliquer à ces petits commerçants, à ces travailleurs informels, souvent les plus vulnérables, et particulièrement touchés qui ont perdu ainsi leur travail et leurs revenus que les actions que mène le district visent à leur « offrir de meilleures conditions de vie ».
L’assainissement d’Abidjan est une entreprise délicate et complexe qui nécessite un équilibre entre le respect des droits des citoyens et les objectifs visés par le gouvernement. Il appartient dès lors au ministre-gouverneur, Bacongo, en charge de l’exécution des tâches de tout mettre en œuvre pour que ces opérations soient menées dans la transparence, mais surtout avec « humanisme » en tenant compte des impacts sur les communautés locales et, partant, en proposant des solutions de rechange adéquates. Toutes choses qui ne vont pas sans dialogue préalable.
Lambert KOUAME