La CPI dans l’effort de guerre en Ukraine





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Ils n’ont que les sanctions à la bouche. Les Occidentaux sanctionnent des institutions internationales et leurs dirigeants, des pays souverains et leurs chefs d’Etat comme ils sanctionneraient leurs chiens de compagnie qui n’auraient pas respecté la coutume. Parce que justement, les autres qui sont avec eux dans le monde ambiant sont des compagnons. A ce titre, ils devraient se contenter de leur statut de suiveur et rien d’autre. Dans leur entendement, celui ou celle qui, comme le chien de compagnie, se trompe, doit mériter les sanctions qui le ramèneraient à la droiture.

Regardez ! Le 2 septembre 2020, à travers son secrétaire d’Etat américain d’alors, Mike Pompeo, l’administration américaine met à exécution les menaces qu’elle proférait déjà depuis le mois juin contre la CPI. Cette institution internationale est accusée par Washington de mener une enquête contre des militaires américains et la CIA, soupçonnés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Afghanistan.

Washington dénonce aussi et assez régulièrement, les procédures similaires qui visent Israël et le gênant dossier palestinien. Ainsi, Fatou Bensouda la procureure générale et son collaborateur, le lesothan Phakiso Mochochoko, ont été placés sur une «liste noire» avec gel de leurs avoirs aux États-Unis et une interdiction de voyager.

Le 11 juin 2020, Mike Pompeo avait donné déjà l’alerte : «Ce n’est pas une enquête de justice. C’est de la persécution contre nos ressortissants». Et, comme ils savent le faire, l’intimidation a suivi : «Nous savons que la CPI et le bureau de la procureure sont concernés au plus haut niveau par des faits de corruption et de fautes graves».

Comme cette intimidation publique n’a pas suffi à faire plier Bensouda et ses collaborateurs qui ont continué de chercher à voir clair dans les différents dossiers mettant en cause les militaires américains, l’administration Trump a dégainé 4 mois après la menace. Et Bensouda sera particulièrement visée.

Selon la presse française de l’époque, «Le compte que possède Fatou Bensouda auprès de la Caisse fédérale de crédit des Nations unies, réservée au personnel de l’ONU et des organisations qui lui sont liées, a immédiatement été gelé. Ses cartes bancaires liées au système monétaire américain ont également été désactivées ».

Ce n’est pas tout. Toujours selon nos confrères, elle a même eu des difficultés d’accès à ses comptes bancaires hollandais avant que très rapidement, le problème ne soit résolu. En Gambie, chez elle, «un membre de sa famille s’est également vu temporairement empêché d’effectuer un virement ». Quant aux interdictions de voyager, elles s’appliquent non seulement à Fatou Bensouda, mais également à son époux et à ses deux enfants.

L’administration Trump prend tellement cette affaire au sérieux qu’en juin, elle avait menacé aussi de sanctions quiconque s’amuserait à collaborer avec les damnés: « Chaque personne ou entité qui continuerait à soutenir la procureure Bensouda et M. Mochochoko risque de s’exposer aux sanctions ».

Même si le lendemain de la décision américaine, la CPI a dénoncé des « actes sans précédent » et qui constituent de « graves atteintes à la justice et à l'État de droit », ces menaces qui ont commencé ouvertement en 2018, inquiètent très sérieusement les 123 États qui ont adhéré à la CPI. Selon plusieurs spécialistes de la Cour, ces pays qui financent cette institution et ont l'obligation de coopérer avec elle craignent de subir, eux aussi, les sanctions de l’administration Trump.

De l’avis d’un confrère qui couvrait cette actualité, «en condamnant une nouvelle fois la CPI et en visant ses collaborateurs, Donald Trump répond par ailleurs aux attentes de certains conservateurs américains qui brandissent la souveraineté des États-Unis face à toute ingérence d’organisations internationales ».

Depuis lors, comme le monde entier s’y attendait, on n’a plus entendu la CPI parler de ce scabreux dossier des crimes de guerre commis en Afghanistan par les soldats américains. Et, au regard de ce qui se passe sous nos yeux, ce n’est pas pour demain, une enquête de la CPI sur les allégations de torture contre les prisonniers afghans suspectés d’appartenir à Al-Qaeda, en Afghanistan mais aussi sur des sites secrets en Pologne ou en Lituanie, sur lesquels les prisonniers étaient traités d’une façon constitutive de crimes de guerre.

En se tournant vers la Russie depuis vendredi 17 mars 2023 pour un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine alors qu’elle n’a pas été capable de poursuivre de simples militaires américains dont les crimes ont été documentés par Amnesty International, la CPI pourrait être accusée de faire ce que les Américains appellent le lawfare. C’est-à-dire, le fait d’utiliser le droit comme une arme stratégique contre un ennemi. C’est une rhétorique qui est courante dans la marche de cette institution qui est visiblement au service du monde unipolaire.

Il est constant que le monde atlantiste cherche par tous les moyens sauf ceux, pacifiques, à mettre fin à la guerre en Ukraine. Dans cet effort de guerre où l’Occident appelle de ses vœux tous les Etats à le suivre, la CPI vient de prendre sa part d’effort. Elle a décidé de jouer sa partition. Mais sans doute pas comme un virtuose. Encore que même les plus grands virtuoses sont toujours sous la menace d’une fausse note.

La preuve, ce mandat d’arrêt va inexorablement renforcer le camp de ceux qui militent fort pour un monde multipolaire. Un monde dans lequel le respect est mutuel, les spécificités des uns et des autres sont reconnues comme telles et où un seul homme ou un seul pays n’en impose pas aux autres. Car c’est bien l’unipolarité actuelle du monde qui a permis à l’Amérique d’intimider la CPI et de sanctionner la procureure de cette institution ainsi que toute sa famille.

C’est cette même réalité unique qui a poussé la CPI à se détourner des Etats-Unis, chefs du monde unipolaire, pour se rabattre sur la Russie. Le mandat d’arrêt de la CPI contre Poutine, c’est incontestablement du pain béni pour tous ceux qui sont convaincus de la création d’un nouveau monde ici et maintenant. Ils pourront brandir ces menaces à ceux qui hésitent et leur dire : «Voyez-vous, c’est cela le monde unipolaire ! ».

Il est vrai qu’il y a une guerre en Ukraine. Il est vrai que cette guerre, comme toutes les guerres, fait de nombreuses victimes et produit des crimes de guerre. Mais y a-t-il jamais eu une guerre sans crimes ? La CPI travaille réellement depuis 2002. De cette date à la guerre en Ukraine, l’on a assisté à de nombreuses guerres en Europe et ailleurs. Elles ont été menées ou suscitées, pour la plupart, par l’Occident et ses alliés. Le monde continue encore aujourd’hui de compter les morts de ces guerres et les crimes commis.

Pourquoi, pour la justice et l’équité, la CPI ne commencerait-elle pas par adresser des mandats d’arrêt aux initiateurs et exécutants de ces sales guerres ? Le monde respirerait mieux. Peut-être.

Abdoulaye Villard Sanogo

 

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