Il y a du nouveau dans l’affaire Laurent Gbagbo et Blé Goudé à la Cour pénale internationale. La Chambre de première instance I a présenté, ce mardi, l’exposé détaillé des motifs de sa décision orale par laquelle elle a acquitté l’ex-président de la République de Côte d'Ivoire Laurent Gbagbo et son ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé de toutes les charges de crimes contre l’humanité qui auraient été commis en Côte d’Ivoire en 2010 et 2011.
Les juges Cuno Tarfuser et Geoffrey Henderson, qui composent la majorité, ont présenté séparément une analyse détaillée des éléments de preuve dans les motifs exposés respectivement dans les annexes A et B. L’annexe C comprenant les motifs de l’opinion dissidente (juge Herrera Carbuccia).
De l’avis des juges de la majorité, le procureur n'a pas démontré qu'il existait un "plan commun" destiné à maintenir Laurent Gbagbo au pouvoir et comprenant la commission de crimes à l'encontre de civils. Il n'a pas non plus étayé l'allégation d'existence d'une politique ayant pour but d'attaquer une population civile, sur la base des modes opératoires récurrents auxquels auraient répondu les violences et des autres éléments de preuve indirects cités à l'appui de cette allégation.
Les juges Cuno Tarfuser et Geoffrey Henderson révèlent également que le procureur n'a pas démontré que les crimes tels qu'allégués dans les charges, ont été commis en application ou dans la poursuite de la politique d'un État ou d'une organisation ayant pour but d'attaquer la population civile. Pour eux, l’accusation n'a pas démontré que les discours prononcés en public par Laurent Gbagbo ou Charles Blé Goudé étaient constitutifs du fait d'ordonner, solliciter ou encourager la commission des crimes allégués, ni que l'un ou l'autre des accusés a contribué en connaissance de cause ou intentionnellement à la commission de tels crimes.
"De l'avis de la majorité, une des lacunes fondamentales du dossier du procureur résidait dans la présentation d'un récit déséquilibré des faits, reposant sur une conception unidimensionnelle du rôle de la nationalité, de l'ethnicité, et de la religion (au sens le plus large) en Côte d'Ivoire en général, et pendant la crise postélectorale en particulier, et ne tenant pas compte d'informations essentielles sans lesquelles il n'était pas possible de comprendre pleinement ce qui s'est passé et certainement pas ce qui a motivé des acteurs politiques clés dans cette affaire. Sans tirer de conclusion à cet égard, la majorité a jugé que ce qui ressortait des éléments de preuve apparaissait sensiblement différent du tableau brossé par le Procureur. Elle explique également pourquoi elle estime que les éléments de preuve produits, pour la plupart des preuves indirectes, étaient trop faibles pour étayer les déductions que le Procureur demandait à la Chambre de faire", explique un communiqué émanant de la CPI.
Ce même communiqué précise que la majorité de la Chambre de première instance I mentionne que, s’agissant des "cinq événements visés dans les charges, la majorité a analysé les éléments de preuve pertinents sans remettre en cause le fait que des crimes avaient été commis, se concentrant plutôt sur la question de savoir s'il était possible d'établir qui était pénalement responsable de ces crimes. Elle a conclu, à cet égard, que les éléments de preuve disponibles n'étayaient pas l'allégation selon laquelle les crimes en cause étaient le résultat d'une politique ayant pour but de prendre pour cible des personnes considérées comme des opposants politiques". La majorité a dit n’avoir pas été "convaincue que les éléments de preuve sur lesquels s'était fondé le Procureur étaient suffisants pour établir l'existence, dans le cadre de la commission des crimes, d'un mode opératoire récurrent dont pourrait être déduite l'existence d'une telle politique".
Le juge Tarfusser a insisté sur certains faits de procédure survenus avant l'ouverture du procès en première instance et dans le cadre de l'appel consécutif à l'acquittement et a également critiqué la prestation du Procureur tant au stade des enquêtes qu'à celui des poursuites, ainsi que celle de la défense.
Quant à la juge Herrera Carbuccia, dans son opinion dissidente, elle a conclu qu'il y avait des éléments de preuve suffisants qui, s'ils étaient admis, permettraient à une chambre de première instance raisonnable de déclarer Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé coupables des crimes contre l'humanité commis contre la population civile dans le contexte des violences postélectorales en Côte d'Ivoire (meurtre, tentative de meurtre, viol, actes inhumains et persécution).
Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont poursuivis devant la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Le procès ouvert le 28 janvier 2016, a vu 82 témoins défilés à la barre au cours de 231 journées d'audience. Le 1er février 2019, la Chambre de première instance I, à la majorité, a pris une décision orale par laquelle elle a acquitté Laurent Gbagbo et Blé Goudé de toutes les charges retenues contre eux.
Maintenant que l'exposé détaillé des motifs de la décision orale de la Chambre de première instance I qui était tant attendu, a été présenté, peut-on s'attendre bientôt à un retour en Côte d'Ivoire de Laurent Gbagbo et Blé Goudé? La suite de cette affaire situera toute l'opinion dans les prochains jours.
Modeste KONE
Source : CPI