Qui a tué Thomas Sankara ?





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Jeudi 15 octobre 1987, 16 h. Une réunion doit commencer à Ouagadougou, au Conseil de l’entente, dans une salle du bâtiment « Burkina ». Thomas Sankara a fait du siège de l’organisation sous-régionale, le Quartier général du Conseil national de la Révolution (CNR). La réunion porte sur la création d’un parti politique, un parti unique dont le but est de rassembler l’ensemble des mouvements de gauche pour sauver la révolution et faire face à la montée des contestations. Thomas Sankara arrive dans sa R5 noire. Il a un peu de retard. Il est en tenue de sport. Il porte un survêtement rouge. Car le jeudi est jour de « sport de masse ».

Il prend place autour de la table, ignorant tout de ce qui l’attend. Quelques minutes plus tard, des coups de feu retentissent. Des tirs venant d’un groupe de militaires qui a pris position autour du bâtiment où la réunion se tient. Le commando a abattu les gardes du corps de Thomas Sankara. Les mains en l’air, Sankara sort le premier de la salle en signe de reddition. Aussitôt, il est froidement abattu sur le perron de la salle de réunion. Puis ses compagnons doivent sortir à leur tour, sous les injonctions des assaillants, par l’unique porte de sortie. Ils sont également abattus.

Au total, treize personnes sont tuées ce 15 octobre. C’est la confusion à Ouagadougou. La radio nationale interrompt ses programmes et diffuse de la musique militaire. Puis le soir, entre 19h et 20h, un militaire en tenue lit un communiqué à la radio nationale. Il y annonce la démission (?) du président, la dissolution du Conseil national de la Révolution et proclame la création d’un Front populaire dirigé par le capitaine Blaise Compaoré.

Quelques jours plus tard, un certificat de décès de Thomas Sankara est publié dans la presse. Un certificat selon lequel Thomas Sankara est           « décédé de mort naturelle ».

Tel est le film de l’assassinat du capitaine Thomas Sankara. Trente-quatre (34) ans plus tard, le Burkina Faso, son pays, et l’Afrique toute entière entrevoient une nouvelle ère. Celle de l’éclatement de la vérité sur la mort du « Che Guevara africain ». Qui sont les auteurs et les commanditaires du meurtre de Thomas Sankara ? Pourquoi l’ont-ils tué ? Le mardi 13 avril 2021, le dossier Thomas Sankara a été renvoyé devant le tribunal militaire de Ouagadougou après confirmation des charges contre les principaux accusés dont l’ancien chef de l’Etat, Blaise Compaoré.

Ami de longue date et compagnon de lutte de Thomas Sankara, Blaise Compaoré est soupçonné d’être le principal commanditaire de l’assassinat de Sankara. Il a d’ailleurs pris le pouvoir dès après la mort de Thomas Sankara et a régné d’une main de fer sur le pays pendant 27 ans avant d’être chassé du pouvoir par une insurrection civilo-militaire en 2014. Il s’est exilé depuis en Côte d’Ivoire et a opportunément pris la nationalité ivoirienne.

Durant ses 27 ans de règne, Blaise compaoré n’a jamais voulu faire la lumière sur la mort de Sankara et s’est gardé de raviver son héritage politique au sein de la population. Au contraire de Mobutu Séssé Séko qui avait quelque peu utilisé l’image de Patrice Lumumba en faisant de lui un « héros national » post-mortem, Blaise Compaoré s’est, quant à lui, évertué à confiner Thomas Sankara dans les méandres de l’oubli.

Aujourd’hui, l’heure de la justice a sonné et un procès pourra s’ouvrir bientôt. Fait notable, Blaise Compaoré pourra être dans le box des accusés si la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara consent de coopérer avec la justice burkinabé.

Aux côtés de Blaise Compaoré, on pourrait retrouver certains de ceux qui ont tiré ce 15 octobre 1987 sur Thomas Sankara. Les autres, s’ils ne sont pas morts, sont en fuite comme Hyacinthe Kafando, chef de sécurité de Blaise Compaoré au moment des faits en 1987. Il est introuvable depuis 2015.

Si Blaise Compaoré a trempé dans la mort de Thomas Sankara, pourquoi l’a-t-il fait ? Etait-ce uniquement pour le pouvoir ?  Et si Blaise Compaoré n’était pas le seul commanditaire de cette mort ?

Les archives burkinabè pourront nous le dire. Mais également celles de la France, ancienne puissance colonisatrice, qui était en 1987, engluée plus que jamais dans la Françafrique. Le samedi 17 avril dernier, la France a remis aux autorités burkinabè, des documents déclassifiés sur l’affaire Thomas Sankara. Ces documents sont issus essentiellement des archives du ministère français de l’Intérieur. Paris va-t-il jouer franc jeu ? Quand on sait que le chef de l’Etat français de l’époque, François Mitterrand, ne portait pas le révolutionnaire, l’anti-impérialiste et tiers-mondiste Thomas Sankara, dans son cœur. Idem pour le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, le parrain africain de la Françafrique. Pour Mitterrand comme pour Houphouët-Boigny,  ce jeune capitaine de 34 ans qui s’est emparé du            pouvoir en 1983 en Haute Volta et s’est engagé sur la voie révolutionnaire, constituait un modèle dangereux pour l’espace francophone africain.

Les échanges musclés entre Mitterrand et Sankara lors de la visite officielle du président français au Burkina Faso, en novembre 1986, apparaissaient aux yeux de nombreux observateurs comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Environ un an plus tard, Sankara était tué. Le procès tant attendu dira à l’Afrique et au monde si la mort de Thomas Sankara était « un accident » comme le pense Frédéric Mitterrand, ancien conseiller Afrique de l’Elysée et conseiller de son père, François Mitterrand, au moment des faits, ou si ce fut un complot commandité depuis l’extérieur.

 Veritas  Par Didier Dépry

 

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