Alassane Ouattara et le Rhdp rêvaient d’un Laurent Gbagbo retranché dans son village pour le reste de ses jours, loin de toute activité politique. Ils se sont trompés.
Alassane Ouattara et les stratèges de son parti, le Rhdp, doivent être au labo pour trouver une réaction adéquate face au cas Laurent Gbagbo. Car, semaine après semaine, l’ancien chef de l’Etat rentré en Côte d’Ivoire le 17 juin, montre qu’il n’est pas revenu au pays pour se soumettre à la volonté des dirigeants actuels, eux qui ont souhaité et prédit sa retraite politique. Bien au contraire. Sortie après sortie, celui dont les apparitions publiques prennent des allures présidentielles, confirme toute sa détermination à retrouver sa posture de leader de la vie politique ivoirienne. Pour preuve, à chacune de ses apparitions publiques, ce sont des foules importantes de personnes qui se mobilisent pour lui témoigner leur estime. Régulièrement, son cortège est bloqué (le mot n’est pas fort) par des sympathisants qui tiennent à communier avec lui. C’était par exemple le cas à Elibou sur l’autoroute du nord fin juin dernier alors qu’il se rendait à Gagnoa sa région natale. C’était encore la cas samedi dernier dans la localité d’Agou, pendant son déplacement à Daoukro à la rencontre du président du Pdci Henri Konan Bédié. ‘’Président Gbagbo’’ scandent de nombreux Ivoiriens à chacune de ces escales forcées. Une popularité qui commence sérieusement à faire de l’ombre à l’occupant du palais du Plateau. Et, qui connaît Alassane Ouattara sait que cela ne lui plait pas du tout.
Mais le retour en politique de Laurent Gbagbo s’affiche surtout dans son discours et son action. A chaque prise de parole, l’ancien détenu de la Cour pénale internationale (CPI) parle certes de réconciliation, mais il ne cache point son intention de remettre sur la table le contentieux postélectoral de 2010 remporté avec les armes par le Président actuel avec l’aide de la communauté internationale. « Certains ont décidé de mettre Ouattara au pourvoir-mais pour le mettre au pouvoir, il faut que la place soit vide-donc de me dégager. Mais moi, je me considère comme celui qui a gagné l’élection présidentielle de 2010…J’ai fait dix ans (en prison, ndlr) et je reviens chez moi acquitté. C’est un fait qu’il faut respecter », affirmait-il au micro de nos confrères de France 24 au mois de juin. Une manière pour lui de remettre en cause la légitimité de son successeur à la tête du pays. Sur ce même sujet de la légitimité de Ouattara, Laurent Gbagbo a enfoncé le clou samedi à Daoukro en reprochant au président du Rhdp une violation de la Constitution pour faire un troisième mandat présidentiel. On le voit, le ton des hostilités est donné.
Quant à l’action politique, l’agenda du leader frontiste comporte, sans doute, un programme de réunification du FPI déchiré en plusieurs branches ou tendances. Resté le vrai maître de ce parti malgré son éloignement, il tentera d’unir ses troupes et d’être à leur tête pour les batailles futures. Il s’agit déjà des prochaines élections locales. Ces échéances sont d’ailleurs évoquées au cœur d’une stratégie commune avec ses nouveaux alliés du Pdci, après leur alliance lors des législatives passées qui a porté ses fruits.
Maintenant, la grande inconnue reste l’attitude qu’adoptera le pouvoir face à ce nouvel adversaire aguerri et populaire. Un adversaire inattendu, revenu miraculeusement dans le jeu politique ivoirien après avoir été livré par Abidjan à la justice internationale, avec l’espoir qu’il ne remettrait plus jamais les pieds en Côte d’Ivoire. Le régime de Ouattara va-t-il mener une bataille politique loyale contre Gbagbo ? Va-t-il, comme il en a l’habitude, encore chercher à l’écarter en instrumentalisant la justice ? Va-t-il essayer de l’éliminer de la course présidentielle par une modification de la Constitution ? Les Ivoiriens ont assez souffert des crises à répétition. Ouattara et son clan devraient y penser en faisant leur choix.
Cissé Sindou