Comme elle est absurde et insensée, la vie à l’ivoirienne ! Presque tous les deux, trois ou cinq ans, c’est le même cirque. C’est le même cercle vicieux. Comme si la Côte d’Ivoire était condamnée, pour l’éternité, à pousser difficilement un immense caillou le long d’une de ses montagnes et chaque fois que le gros caillou arrive au sommet, il retombe au bas de la montagne, dans la plaine. Puis le pays recommence encore et encore la montée.
C’est vrai que la vie d’ici et d’ailleurs est une tragédie. Et on ne le sait que trop, c’est un éternel recommencement. C’est-à-dire, à l’instar des prisonniers d’autre fois qui déplaçaient des tonnes d’objets d’un lieu à un autre et le lendemain, faisaient le même boulot mais cette fois dans le sens inverse, tous les matins, au réveil, nous accomplissons les mêmes gestes : manger, travailler, dormir, parler, se réveiller etc.
Ceux qui ont compris ce phénomène tragique mais irréversible de la vie et qui ont cherché à en sortir ont eu en face d’eux deux attitudes : se donner la mort ou procéder à une révolte intérieure comme le conseillait d’ailleurs le philosophe Albert Camus. Même l’astucieux et fourbe Sisyphe, dans la mythologie grecque, qui avait voulu apprivoiser la mort pour mettre fin au cycle alternatif de la vie a fini par s’y mettre. Et il a fait sa révolte intérieure.
Si Sisyphe qui a défié les dieux en cherchant à les rouler dans la farine a été condamné à accepter que la vie est un éternel recommencement et que l’on ne saurait arrêter ce phénomène, ce n’est pas pour lui-même, mais c’est pour les générations d’après. La leçon à en tirer est que même si la vie se présente comme n’ayant pas de sens, à travers la révolte intérieure, l’homme peut arriver à lui donner un sens : celui qui indique clairement que la loi des cycles de la vie implique nécessairement l’alternance.
Cela fait près de trente années que, comme Sisyphe, notre pays est condamné parce qu’il a voulu défier les dieux. Cela fait trente ans que nous travaillons comme les prisonniers d’autre fois. Nous faisons du sur place et, naturellement, nous n’évoluons pas. Tous les ans ou tous les cinq ans, des camps se font face. Et comme si nous méconnaissions le conseil de Camus rappelé plus haut, chacun aiguise ses couteaux qu’il placera entre ses dents ou au bout de sa plume pour déchirer l’autre. Du coup, notre vie est devenue plus qu’insensée.
Qu’attendons-nous pour imiter Sisyphe qui a accepté la condamnation après une révolte intérieure ? Laquelle révolte l’a conduit non pas au suicide pour éviter le châtiment mais à une maîtrise de son destin, laquelle maîtrise du destin va diminuer drastiquement la charge du caillou. A regarder d’un peu plus près la tragédie dans laquelle vit notre pays, on peut déduire aisément qu’il a fait le choix du suicide plutôt que de l’aggiornamento. En acceptant la sanction des dieux que nous avons voulu « blue-bander », nous acceptons de donner un nouveau sens à notre vie qui était insensée.
A cet effet, comment ne pas saluer la déclaration des chefs traditionnels de la région du Goh qui, courageusement, ont invité le chef de l’Etat à s’asseoir avec ses deux prédécesseurs Gbagbo et Bédié afin de trouver rapidement une solution à la question de la radiation du président du PPA-CI de la liste électorale. Souhaitons que la belle mouche qui les a piqués pour qu’ils se réveillent aussi vite visite également les autres régions du pays afin que dans une suprême lucidité, les voix autorisées fassent une descente intérieure et s’accordent pour chanter ensemble.
Que, surtout, cette mouche pique en premier lieu le Médiateur de la République pour qu’il soit le chef de cet orchestre qui va nous proposer des chansons en rapport avec les doublettes cime et plaine ; haut et bas ; montée et descente ; effort et repos. Parce que la vie c’est l’alternance. Sisyphe en sait quelque chose.
Abdoulaye Villard SANOGO