En date du 22 février 2024, le président de la République, conformément aux prérogatives que lui confère la Loi fondamentale, a pris une mesure de grâce à l’endroit de 51 détenus. Dans les jours qui ont suivi cette mesure, les concernés ont été sortis des lieux pénitentiaires dans lesquels ils étaient et hument désormais, le vent frais et salvateur de la liberté.
Aujourd’hui, tous vaquent à leurs occupations diverses avec des écarts de langage pour certains, sur lesquels il convient de s’arrêter afin de mesurer la portée de la grâce présidentielle relativement à la responsabilité des actes commis ayant conduit les bénéficiaires en prison. Selon le droit, « la grâce présidentielle est un pouvoir dont dispose le président de la République. Ce pouvoir lui permet de décider de dispenser une personne condamnée de l’exécution de sa peine. Le président de la République peut accorder la grâce pour la totalité de la peine ou seulement pour une partie de ladite peine. Il n’est pas obligé de justifier sa décision d’accorder ou de refuser la grâce à une personne condamnée ». Dans cette même dynamique, il est important de savoir qu’à la différence de l’amnistie, la grâce n’a aucun effet sur la décision de condamnation qui figure toujours au casier judiciaire de la personne ayant bénéficié de la grâce. Au regard de ce qui précède, l’on doit savoir que, contrairement à ce que pense une certaine opinion, sortir de prison à la suite d’une grâce présidentielle, ne signifie pas que l’ancien détenu n’a pas commis l’acte pour lequel il est allé en prison ou qu’il a été blanchi.
C’est une décision souveraine du président de la République qui, conformément à la Constitution, peut décider d’accorder la grâce à qui il veut dans les limites de la loi. Dans le cas d’espèce, la dernière mesure de grâce prise par le président Alassane Ouattara se situe dans la ferveur suscitée par l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations 2023 au cours de laquelle les Ivoiriens ont fait montre d’une unité et d’un patriotisme à nulle autre pareille qui a permis à l’équipe nationale de remporter la coupe dans les péripéties que l’on connait tous. Alassane Ouattara a donc pris cette décision de grâce en vue d’entretenir cette flamme patriotique et cet élan de cohésion et d’union suscité par la CAN 2023. C’est en cela que les bénéficiaires de cette mesure de grâce doivent savoir raison garder. En Côte d’Ivoire, ce n’est certes, pas la première mesure de grâce présidentielle, encore moins la dernière. Mais quand l’on se réfère aux raisons qui ont conduit la plupart des bénéficiaires de cette grâce en prison, ceux-ci doivent moduler leur langage et leur attitude après leur libération. La gravité des faits pour le pays et l’attitude vis-à-vis des victimes ou leurs familles respectives doivent amener nos graciés à beaucoup plus de responsabilité. Il est vrai que les 51 bénéficiaires de la grâce présidentielle du 22 février n’ont pas la même attitude et les mêmes comportements, mais certains doivent se revoir.
Après une longue ou relative privation de liberté, l’on ne peut pas empêcher un ancien détenu de savourer la liberté recouvrée avec sa famille, ses proches et ses amis, mais la théâtralisation des retrouvailles et surtout les propos que l’on tient sur les circonstances qui ont été à la base de la condamnation, peuvent heurter le bons sens et surtout amener à réfléchir sur l’opportunité de cette mesure qui, faut-il le rappeler, n’est qu’une grâce et non une décision de déculpabilisation ou d’absolution. Pendant les procès en assise, l’on a entendu des choses extrêmement graves pour lesquelles certains graciés doivent avoir de la retenue. Des officiers supérieurs comme le colonel-major Dosso Adama, le patron du plus grand groupe industriel du pays, et les responsables d’un groupe hôtelier ont été enlevés, torturés, puis cruellement et atrocement assassinés au palais présidentiel par des militaires qui ont avoué leurs crimes sur ordre de leur supérieur hiérarchique qui était également dans le box des accusés.
Nous ne reviendrons pas sur les obus tirés sur les sept femmes d’Abobo et sur les faits liés à la désobéissance civile pour lesquels il a été clairement établi que des civils et des militaires voulaient renverser le régime d’Abidjan. Quand l’on sort de prison à la suite de ce genre de crimes, suite à une magnanimité du président de la République, l’on doit garder le profil bas et non organiser des célébrations fastes d’auto-célébration et n’avoir aucune once de regret ou de contrition à l’endroit des victimes. Se faire passer pour une victime expiatoire ou un héros de guerre, remet totalement en cause le fondement même de la grâce présidentielle. Le président de la République a pris cette mesure pour accompagner l’élan de patriotisme et de cohésion lié à la CAN 2023. Pour le moment, l’attitude de certains parmi eux est en totale contradiction avec l’idéal pour lequel ils sont libres de tous leurs mouvements.
Bernard Kra