On lui a donné de très épaisses ailes pour voler plus haut, aller très loin et supplanter ses ennemies. On lui a fait de trop longues dents pour croquer le plus aisément du monde, ceux qui se poseraient en travers de son chemin. On lui a fabriqué de trop grosses pattes pour écraser les petites gens sans défense. On n’a pas omis de lui planter de gros et grands yeux pour voir et apercevoir dans le lointain ce qui n’est pas visible. On lui a bombé le front pour protéger ses yeux sortis de leurs orbites. On lui a même posé sur la nuque des yeux de lynx.
Une personne dénaturée et cruelle. Le parfait monstre. Celui que le philosophe américain Noël Caroll définit comme étant un être qui suscite le dégoût et la peur. Dans une transposition symétrique, on pourrait retrouver Ibrahim Cissé dit Bacongo face à ce monstre évoqué ci-avant. Si l’on s’en tient bien sûr à la présentation que font de lui les populations ivoiriennes. L’homme, adossé au parti au pouvoir et investi des pouvoirs d’un monstre, détruit tout sur son passage. Il ne rechigne devant rien, même pas devant des femmes en pleurs avec enfants sous les bras. Il fonce comme un bélier.
Le ministre-gouverneur du district autonome d’Abidjan a vraiment tout du monstre. Certes, les populations ressentent de la peur à l’évocation de son nom mais en même temps, elles sont quelque peu fascinées par ses caractéristiques. Un homme qui peut casser un quartier loti et viabilisé, des mosquées et des églises, qui peut raser des domiciles pendant que leurs occupants sont en plein dans le sommeil, aiguillonne forcément la curiosité. Et Bacongo éveille la curiosité. Si certains entendent le rencontrer pour lui dire vertement ce qu’ils pensent de sa « bravoure », d’autres par contre sont curieux de savoir ce qui se passe dans la tête de l’ancien maire de Koumassi.
Mais les monstres sont comme les révolutions politiques ou sociales qui finissent toujours par manger leurs porteurs. Et le monstre Bacongo ne fait pas mentir l’adage. L’ancien ministre de l’Enseignement supérieur n’a pas pour mission de s’asseoir à ne rien faire. Il n’est donc pas missionné pour ronger son mors. Or, depuis quelques semaines, « bara banan ». Les déguerpissements qui meublaient ses journées ont du plomb dans l’aile. Du moins, il n’y a plus assez de lieux à raser. Ceux qui sont dans la ligne de mire sont programmés pour 2025. Alors, pour ne pas avoir à chômer, il a braqué ses gros et grands yeux sur son parti : le RHDP. C’est le début du commencement.
Le lundi 18 novembre 2024, devrait avoir lieu à l’abattoir de Port-Bouët, une cérémonie d’installation des équipes de contrôle vétérinaire du ministère des Ressources animales et halieutiques que dirige Sidi Tiémoko Touré. Alors que tout avait été fait dans les normes (invitation des membres du gouvernement dont le ministre de la Sécurité, du préfet d’Abidjan, du ministre-gouverneur lui-même, réunion sur la mise en place la veille entre la direction technique du district d’Abidjan et le comité d’organisation etc.), Bacongo envoie en mission de casse, un de ses bras droits à la tête d’une horde de loubards qui vont saccager toutes les installations. Ils ont même mis feu aux chaises, bâches et autres.
Plus grave, le ministre Sidy Touré et le préfet d’Abidjan arrivés les premiers sur les lieux seront proprement humiliés par les hommes de Bacongo. S’il n’y avait pas la sécurité rapprochée de ces deux commis de l’Etat, on aurait peut-être eu le pire. Ce d’autant que le chef de la délégation de Bacongo a osé jeter à la face du ministre, de sales petits mots repérés du reste par les journalistes présents lors des échauffourées. Ce même type a arraché des mains d’un collaborateur du ministre, son téléphone portable qu’il a fracassé au sol avant de l’écraser à l’aide de ses godasses. Si Bacongo n’est pas un monstre, comment peut-il humilier ainsi un ministre de la République accompagné, s’il vous plaît, du préfet d’Abidjan ?
En tout état de cause, la question de sa place réelle dans la République ne se pose plus. Le ministre Sidy Tiémoko qui la connaît mieux que quiconque n’avait pas daigné faire un communiqué sur ces intolérables incidents jusqu’à ce qu’un article de presse qu’il juge téléguidé l’ait poussé à sortir de ses gonds. Ceux qui ont lu ce droit de réponse adressé à un confrère ont dû se rendre compte de la trop grande prudence avec laquelle le ministre, à travers son chargé de la Communication, a dénoncé cette prévarication. Bien que les casseurs aient dit clairement avoir été envoyés par Bacongo, bien qu’il sache lui-même que c’est l’œuvre de Cissé Bacongo, nulle part dans son droit de réponse il ne fait allusion au ministre-gouverneur. « Yeux connaît bagage qui est lourd », dit-on chez les zougloumen.
Sidy n’est apparemment pas le seul à connaître la place sécurisée du monstre Bacongo. Le Premier ministre Beugré Mambé, selon une information donnée par les services du district, aurait reçu, dès après l’incident, le ministre des Ressources animales et halieutiques et le gouverneur du district d’Abidjan, loin des caméras, pour régler l’affaire à l’amiable. Qui est fou pour monter sur ses grands chevaux dans une affaire où visiblement, le monstre créé est à l’échauffement avant de prendre le chemin de la destruction des biens des moins nantis ? En attendant de pénétrer à nouveau dans la case pour y briser tout. Au nom de la monstruosité.
Abdoulaye Villard Sanogo