Mon interlocuteur : « Si Bédié est candidat à la présidentielle de 2020, le président Ouattara sera également candidat. Nous ne laisserons pas la voie libre à Bédié ».
Moi : « Mais la Constitution ne permet pas trois mandats successifs. Comment allez-vous faire ? »
Mon interlocuteur : « Tout est une question d’interprétation des textes ».
Ce court dialogue n’est pas fictif. Il est réel et j’ai tenu à le restituer dans son intégralité.
Ce sont les échanges que j’ai récemment eus avec un cadre du Rdr, proche du chef de l’Etat, Alassane Ouattara.
Pour être plus précis, nous avons longuement échangé suite à l’interview que le président du Pdci-Rda, Henri Konan Bédié, ancien chef de l’Etat (décembre 1993-décembre 1999) a accordée, le jeudi 13 décembre dernier, à la chaîne de télévision française France 24. Une interview au cours de laquelle Bédié a clairement laissé entrevoir son intention d’être candidat à l’élection présidentielle de 2020. Au journaliste qui lui a rappelé qu’il avait affirmé, l’année dernière, à l’hebdomadaire Jeune Afrique qu’il ne se présenterait pas à la présidentielle de 2020 parce qu’il se sent « fatigué et âgé », Bédié a rétorqué : « C’était une évaluation de l’époque (…) c’est la convention du Pdci en 2019 qui désignera le candidat du parti à l’élection présidentielle de 2020. Il se pourrait que ce ne soit pas moi, il se pourrait aussi que ce soit moi».
Depuis le 13 décembre 2018, on peut l’affirmer sans se méprendre, tout ce que certains proches du président du Pdci-Rda nous disaient sur son engagement à passer le flambeau à la jeune génération de responsables du Pdci dans la perspective de 2020, relève d’un vœu pieux. Même son de cloche assurément pour Alassane Ouattara qui continue de soutenir pourtant qu’il n’est pas partant pour un prochain mandant présidentiel.
Le pouvoir d’Etat intéresse Henri Konan Bédié qui a toujours nourri le « secret » désir de revenir aux affaires, de prendre sa revanche sur le coup d’Etat qui l’a évincé du pouvoir en décembre 1999. Mais également d’être restitué dans ses droits relativement à l’élection présidentielle de 2010 dont il estime avoir été spolié de 600.000 voix avant le deuxième tour.
Bédié veut donc son «match retour». Peu importe, dans le principe, ses adversaires. Mais visiblement dans son for intérieur, Bédié voudrait sans doute que ses adversaires soient Gbagbo et Ouattara, Guéi étant décédé. Croiser le fer de nouveau avec Gbagbo et Ouattara, et les vaincre, pourrait sonner pour lui comme un grand triomphe, au-delà d’une simple victoire électorale. Il s’y est psychologiquement préparé. En portant un regard dépréciatif sur son ancien allié Ouattara. «Après coup et maintenant, je regrette de l’avoir soutenu pour la magistrature suprême du pays», dit-il à France 24. A Gbagbo, même s’il souhaite avec opportunité sa libération, Bédié ne lui fera pas la courte échelle pour revenir au pouvoir en 2020, s’il était libéré de la Cpi.
Bédié, candidat ; Ouattara, candidat et Gbagbo, potentiellement candidat ; c’est une autre facette du «match retour». A la différence que cette fois-ci, contrairement à 2010, les alliances pourraient se traduire différemment. Si en 2010, Bédié-Ouattara-Soro affrontaient Gbagbo ; en 2020, l’«ennemi» commun pourrait être Ouattara qui sera face à l’alliance Bédié-Soro et peut-être Gbagbo ou assurément son parti, le Fpi avec son leader Pascal Affi N’Guessan.
Quel sera l’issue de ce «match retour» ? Sera-t-il le remake de 2010 avec en toile de fond tragique, la crise post-électorale ? Nul ne le sait. Mais à moins de deux ans d’octobre 2020, les scrutins électoraux «test» (municipales et régionales) ont été émaillés de violence et de fraude. Des signes avant-coureurs qui augurent d’un futur inquiétant.