Deux semaines après le retour de Laurent Gbagbo, plusieurs questions se posent. Pourquoi la première démarche de l'ancien président ivoirien est-elle de demander le divorce avec Simone Gbagbo ? Pourquoi dit-il qu'il est un « soldat au garde à vous » ? Laurent Gbagbo rentre-t-il pour essayer de gagner la présidentielle de 2025 ou pour préparer la relève au sein du Front populaire ivoirien, le parti qu'il a créé il y a 39 ans ? Sylvain N'Guessan est analyste politique et dirige l'Institut de stratégie d'Abidjan. En ligne de Côte d'Ivoire, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Laurent Gbagbo a-t-il réussi son retour ?
Sylvain N’Guessan : On peut dire qu’il a réussi son retour à Abidjan et dans sa région natale. Il y a eu quand même du monde qui est sorti.
Comment voyez-vous la suite pour Laurent Gbagbo ? Va-t-il se poser en autorité morale de la classe politique ou va-t-il devenir le leader combatif de l’opposition ?
Son discours laisse entrevoir quelques signes. Lorsqu’il s’est présenté comme un « soldat » toujours mobilisé, à la disposition de sa formation politique, si l’on s’en tient à ces quelques bouts de phrases, on pourrait se dire que le président Laurent Gbagbo va continuer sur le terrain politique. Toutefois, au regard de certaines affaires de sa vie privée, que le président Laurent Gbagbo étale lui-même sur la voie publique, on pourrait être amené à imaginer que le président Laurent Gbagbo prenne sa retraite politique, surtout que dans le même discours au QG de sa formation politique, le président Laurent Gbagbo a nommément cité son dernier Premier ministre, le professeur Aké N’Gbo, en manifestant ce désir de voir la Côte d’Ivoire lui être reconnaissante un jour en lui confiant des responsabilités. Cela pourrait signifier que le président Laurent Gbagbo entrevoit de coacher une nouvelle génération au sein de sa formation politique pour les challenges à venir. Et donc son dernier Premier ministre pourrait jouer un rôle clé dans cette Côte d’Ivoire.
Voulez-vous dire qu’en citant le nom de l’ancien Premier ministre Aké N’Gbo, Laurent Gbagbo a peut-être donné le signal qu’il pensait à une relève ?
On pourrait interpréter son discours du premier jour (de son retour) de cette façon. D’autant plus que c’est l’unique nom qu’il a prononcé.
Mais en même temps, à la question de France 24 « Serez-vous candidat en 2025 ? », Laurent Gbagbo a répondu « Je n’exclus rien en politique. Je suis un soldat. Je suis au garde à vous. »
Oui, mais il a besoin de maintenir la flamme de sa formation politique. Surtout que sa formation politique est traversée par plusieurs crises présentement, notamment avec le cas Affi N’Guessan et probablement celui de Simone Gbagbo. Le président Laurent Gbagbo a besoin de rester comme le coach du FPI, parce que Gbagbo sans le FPI demeure Gbagbo, mais le FPI sans Gbagbo perd beaucoup. Il a donc besoin de jouer ce rôle de pivot qui, tout en mobilisant et maintenant la flamme, prépare la relève.
Justement, quand on lui demande ce que va faire son père, Michel Gbagbo répond : « Laurent Gbagbo va faire taire les divisions internes dans son parti puis préparer une relève. Il ne veut pas se présenter, mais, si le parti et le contexte l’y poussent, il ira quand même. »
Justement, le contexte compte beaucoup. Pour rappel, avant la présidentielle en octobre 2020, le président Alassane Ouattara avait promis de procéder à une modification de la Constitution en vue de faire revenir la clause de limite d’âge pour l’éligibilité présidentielle. Si cette modification était faite, le président Laurent Gbagbo ne pourrait plus être candidat, parce qu’il a plus de 75 ans.
Laurent Gbagbo est toujours sous le coup d’une condamnation à 20 ans de prison par contumace dans l’affaire du casse de la BCEAO. Pensez-vous que le président Alassane Ouattara pourrait utiliser cette arme judiciaire pour empêcher Laurent Gbagbo d’être candidat ?
Je pense que d’ici 2024, avant la future échéance électorale, il y aura déjà un compromis politique sur diverses questions. Je pense que le président Alassane Ouattara va susciter des rencontres avec les présidents Bédié et Gbagbo pour taire certaines querelles en vue d’un projet d’avenir commun pour la Côte d’Ivoire. Je le pense fermement. Mais le président Alassane Ouattara pourra toujours susciter la modification constitutionnelle, qui est attendue par plus d’un à Abidjan, en vue de susciter la retraite politique de monsieur Bédié, de monsieur Gbagbo et de lui-même pour la relève générationnelle dont il a tant parlé autour des années 2020.