Mgr Jean Pierre Kutwa revient à la charge : "la candidature de (Ouattara) à ces prochaines élections, n’est pas nécessaire"





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A deux mois des élections présidentielles, l’archevêque Jean Pierre Kutwa est sorti de son silence. Dans une déclaration dont copie est parvenue à Pressecotedivoire.ci, le prélat catholique touche du doigt les violences qui pointent à l’horizon relativement aux élections présidentielles d’octobre 2020.  

Pour l’archevêque d’Abidjan la candidature de l’Actuel chef de l’Etat Alassane Ouattara n’est pas nécessaire. Son devoir régalien de garant de la Constitution et de l’unité nationale appelle son implication courageuse, en vue de ramener le calme dans le pays, de rassembler les Ivoiriens, de prendre le temps d’organiser les élections dans un environnement pacifié par la réconciliation.

Ci-dessous l’intégralité de sa déclaration

Dans certaines circonstances, le silence peut être synonyme de lâcheté et de complicité avec l’iniquité ! Chers compatriotes, Dans la Bible, lorsque Caïn tua son frère Abel et que Dieu lui demanda où était son frère, il répondit qu’il ne savait pas et qu’il n’était pas le gardien de son frère (Gn.4,25). Qu’ils le confessent ou non, les disciples de Caïn sont ceux qui refusent de veiller sur leurs frères, ceux qui se montrent indifférents face à la détresse ou à la souffrance d’autrui. Dans ces circonstances, le silence peut être synonyme de lâcheté et de complicité avec l’iniquité !

Ma présente démarche qui consiste à nous interpeller, face à la crise que nous vivons actuellement s’inscrit dans un souci de contribuer à la recherche des voies et moyens, non seulement d’un vivre ensemble, mais d’un vivre ensemble dans l’unité. C’est bien ce que suggèrent les paroles du psalmiste quand il affirme : « qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères, de vivre ensemble et d’être unis » (Ps 133,1)

La vie socio-politique de notre pays aborde un virage dangereux. Au fur et à mesure que s’approche l’échéance des élections présidentielles, force nous est donné de constater la radicalisation des positions de part et d’autre. Celles-ci se sont d’autant plus accentuées depuis la déclaration de candidature du Président de la République le 06 août 2020.

Certains citoyens ont pris les rues pour appeler au respect de la Constitution, qui, selon eux, venait ainsi d’être violée. D’autre ont pris à contrepied ces manifestations. Cette situation a conduit à des violences inacceptables. Des citoyens d’un même pays, armés de gourdins, de pierres, de machettes et d’armes à feu, se sont livrés à des massacres d’un autre âge, causant, comme il fallait s’y attendre, des morts et d’innombrables blessés, sans compter des dégâts matériels.

Devant un tel spectacle désolant et déshonorant pour notre pays et pour l’Afrique, peut-on honnêtement rester inactif et passif, pour ne pas dire indifférent ? Peut-on garder le silence et laisser le présent et l’avenir de notre pays être dévorés par l’épée et le feu ? J’ai cependant gardé un long temps de silence, dans le recueillement et la prière. Je me suis contenu dans l’espoir que la sagesse habite les uns et les autres. Mais l’allure que prennent les évènements, avec les incertitudes qu’ils cachent, m’oblige à sortir de ma réserve pour ne pas être complice des graves dérapages que nous avons connus en si peu de jours, et que nous ne souhaitons pas revivre.

Ma responsabilité de pasteur se trouve engagée devant la nation, devant l’histoire de notre pays, devant le monde entier. Il s’impose donc à moi de dire une parole de consolation, qui en même temps, invite à la non-violence, au dialogue, au respect du droit et des lois, toutes choses sans lesquelles l’on ne peut bâtir un État moderne et paisible. On ne le dira jamais assez, il n’y a pas de paix sans justice et il n’y a pas de justice sans pardon. Voilà ce que je veux rappeler à ceux qui ont entre leurs mains le sort de nos populations, afin qu’ils se laissent toujours guider dans les choix graves et difficiles qu’ils doivent faire par la lumière du bien véritable de l’homme, dans la perspective du bien commun.

Le cœur meurtri de douleur, je me tourne vers les villes, les villages, les familles dont les membres ont été victimes d’atrocités. Certaines personnes ont trouvé la mort, d’autres grièvement blessés ; des biens acquis depuis de longues années ont été détruits. Je prie pour que les morts reposent en paix et que le Dieu en qui nous croyons, nous console ! Qu’il donne la guérison aux blessés et à ceux qui ont subi un traumatisme psychologique dû à l’inhumanité des actes dont ils ont été témoins ou même victimes.

Comment peut-on s’accommoder d’une telle tragédie, au point de ne pas s’indigner devant une violence qui a pris l’allure d’une norme ? Je ne puis me taire plus longtemps. J’en appelle solennellement à la conscience individuelle et collective afin qu’un terme soit mis à la violence et que place soit faite au dialogue.

La Côte d’Ivoire notre pays, est un pays de dialogue par tradition. Rappelons-le-nous ! Ne mettons pas le dialogue sous éteignoir pour emprunter des chemins qui n’honorent pas notre cher pays. Tout dialogue suppose deux individus ou des groupes d’individus. Tout dialogue implique le courage de regarder l’autre en face pour entrer en communication avec lui. L’on ne peut dialoguer sans faire un pas pour rejoindre l’autre. J’invite instamment tous les ivoiriens à renouer avec le dialogue pour que la parole, respectueuse des différences, prenne le pas sur les velléités d’embraser le pays.

Chers compatriotes

Vous m’êtes témoins que je n’ai eu de cesse d’élever la voix pour nous supplier de nous accorder les uns aux autres, le pardon, chemin de réconciliation. La réconciliation est, nous le croyons tous, l’acte qui, après une crise, permet aux antagonistes de se retrouver et de repartir sur de nouvelles bases. Sans elle, aucune cohésion sociale n’est possible, puisque la rancœur, blottie dans notre subconscient, n’attend qu’une occasion pour refaire surface et briser la cohésion sociale tant recherchée.

Vous conviendrez avec moi qu’un environnement délétère n’augure rien de bon quant à l’organisation des élections. Comment, en effet, dans une ambiance perturbée par des récriminations et des malentendus autour des questions fondamentales, pourrait-on aller à des élections dignes de ce nom ? En vérité, la réconciliation est plus importante que les élections. Voilà pourquoi, il est totalement erroné de penser qu’il suffit d’organiser des élections, d’en déclarer un vainqueur, pour que les cœurs meurtris soient guéris et que la paix s’installe. J’ose encore une fois nous supplier : laissons-nous réconcilier les uns avec les autres ! Tout le reste ira de soi.

L’un des moyens pour aller à la réconciliation, est le respect des lois que l’on se donne bien plus que les élections. C’est ici que la maxime latine prend tout son sens : « Dura lex, sed lex : la loi est dure mais c’est la loi ». Cette pensée invite au respect de la loi même quand elle nous contrarie et va à l’encontre de nos intérêts du moment. Des explications des rédacteurs de la Constitution ont été suffisamment abondantes et partagées avec la population. De même, des communications par l’exécutif sur les sites officiels ont été faites pour expliquer la Constitution. A notre avis, il ne devrait pas avoir de lectures différentes, sources des affrontements actuels. Malheureusement la loi fondamentale de notre pays semble nourrir les violences, en ce que des écoles d’interprétations s’opposent et influencent la population qui s’engouffre dans des actes de revendications ou contre-revendications violentes. Pour ma part je crois que de tels conflits ne devraient pas avoir leur raison d’être.

En tout état de cause, qu’il me soit permis d’inviter tous les ivoiriens à emprunter les chemins scientifiques pour sortir de cette crise née de la compréhension de la loi qui fonde toutes les autres. Cela ne peut se faire à coup d’invectives, de machettes et de canons. En parlant de chemins scientifiques, je fais ici référence aux intellectuels, hommes de science capables d’indépendance intellectuelle et d’exégèse méthodique des textes, et notre pays n’en manque pas, pour que la lecture de sa loi fondamentale soit livrée à des courants politiques, au point qu’elle signifie à la fois une chose et son contraire, selon l’intérêt que l’on défend. A quoi servirait une boussole qui indique un jour le Nord, et un autre jour le Sud, selon les lunettes que l’on porte ? La loi fondamentale, qui peut être regardée comme une boussole, ne peut signifier, à la fois, une chose et son contraire.

Je voudrais inviter les uns et les autres à aller au dialogue et à la concertation, dans la recherche de solutions à cette crise qui n’augure pas d’un lendemain meilleur quant à l’organisation paisible des élections. J’insiste encore une fois pour vous rappeler que le respect de la loi est plus important que les élections.

La loi fondamentale de la Côte d’Ivoire s’ouvre par la reconnaissance des droits, des libertés et des devoirs par l’État (Cf art 1). Quel commentaire en faire sinon que, pour le législateur, ce triptyque forme un corps dont découle tout le reste. Le droit, les libertés et devoirs sont primordiaux dans toute société moderne, et l’État de Côte d’Ivoire s’est engagé à prendre les mesures pour son application effective. Les événements de ces jours-ci laissent entrevoir que beaucoup reste à faire dans le rappel à tous des droits, des libertés et des devoirs, des individus et des collectivités. Cela ne peut se faire que loin des bruits d’intérêts électoralistes.

Seule la recherche du bien commun permettra à l’Etat et à ceux qui l’incarnent d’aider les citoyens à la connaissance et au respect des droits, des libertés et des devoirs de tous. Si le droit de la personne humaine, en général, et à la vie en particulier, est inviolable (Cf art 1-2), l’on ne peut le sacrifier sur l’autel des intérêts particuliers et des élections censées nous apporter la paix et le développement. Ma conviction profonde reste que le respect des lois est plus important et honore plus que la victoire à une élection.

Chers compatriotes

Il est de notoriété que la force de la loi est et sera toujours à préférer à la loi de la force. Le premier est un chemin vers la paix dans le respect des droits, des libertés et des devoirs quand le second lui, est une voie qui éloigne de nous la paix et installe le désordre. Puissions-nous, dans un esprit civique et de concertation, donner à la loi toute sa force pour qu’elle nous aide à vivre dans la justice, la réconciliation et la paix, en vue d’une organisation consensuelle d’élection sans violence.

Je ne peux pas ne pas me tourner avec respect vers le Président de la République, chef de l’Etat dont la candidature à ces prochaines élections, n’est pas nécessaire à mon humble avis. Son devoir régalien de garant de la Constitution et de l’unité nationale appelle son implication courageuse, en vue de ramener le calme dans le pays, de rassembler les Ivoiriens, de prendre le temps d’organiser les élections dans un environnement pacifié par la réconciliation. Comme le dit si bien un adage de chez nous : « on ne reste pas dans les magnans pour enlever les magnans. »

Je prie pour que chacun, dans l’exercice de sa responsabilité, ait la sagesse pour tout accomplir dans le strict respect des lois : que les appuis et les revendications se fassent dans le strict respect de la Constitution, particulièrement en ce qui concerne le respect du droit à la vie, droit inviolable selon notre Constitution (Cf art 3). Toute injustice sous quelque forme qu’elle se présente provoquera le désordre. Seule la justice qui reconnait à chacun ses droits et devoirs nous apportera la paix.

Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire et nous accorde sa paix !

Donné à Abidjan, le 31 août 2020

Jean Pierre Cardinal Kutwa
Archevêque d’Abidjan.

 

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