Le mercredi 7 avril 2021 est apparu pour les Ivoiriens qui croient en la réconciliation nationale comme une date pleine d’espoir. En effet, ce jour-là, lors du conseil des ministres qu’il a présidé, le chef de l’Etat Alassane Ouattara, tout en prenant acte de l’acquittement définitif de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé par la Cour pénale internationale (CPI), a soutenu solennellement que son prédécesseur et le ministre de la jeunesse de celui-ci sont « libres de rentrer en Côte d’Ivoire quand ils le souhaitent ». En guise de cerise sur le gâteau, M. Ouattara a ajouté que les frais de voyage de M. Gbagbo ainsi que ceux des membres de sa famille installés avec lui à Bruxelles (Belgique) seraient pris en charge entièrement par l’Etat de Côte d’Ivoire.
Le jeudi 17 juin 2021, l’ancien chef de l’Etat Laurent Gbagbo rentre en Côte d’Ivoire accompagné de membres de sa famille. La joie des Ivoiriens qui croient en la réconciliation nationale se trouve réconfortée. Alassane Ouattara a tenu sa promesse, pensent-ils. Mais ce qu’ils ignorent, c’est que ce n’est pas l’Etat ivoirien qui a pris en charge l’arrivée des Gbagbo. Bien au contraire, c’est Laurent Gbagbo, lui-même, qui a assuré son retour et celui des siens. Au nom de l’engagement pris, le chef de l’Etat donnera-t-il des instructions afin que son prédécesseur soit remboursé ? « Oui », soutiennent des sources informées. Mais en attendant, cet épisode constitue le premier couac sur le chemin de la réconciliation.
Le deuxième couac saute rapidement aux yeux. A l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Port Bouët, le constat se fait sans hésitation. Aucun membre du gouvernement d’Alassane Ouattara n’est présent au pavillon présidentiel pour accueillir Laurent Gbagbo. Ni le Premier ministre Patrick Achi, ni le ministre de la Sécurité Vagondo Diomandé, qui ont été pourtant au four et au moulin des négociations avec les émissaires de Laurent Gbagbo pour permettre un retour apaisé de l’ancien Président de la République n’ont fait le déplacament. Pas d’Akwaba à Gbagbo. Son retour a été frappé du sceau du mépris par le pouvoir. Depuis l’arrivée de Gbagbo, Ouattara n’a fait aucune déclaration à ce propos. Comme pour dire «ça n’a aucune importance à mes yeux».
Cette attitude qu’on pourrait qualifier volontiers de méprisante a été accueillie par une attitude similaire de la part de Laurent Gbagbo. Un mépris contre un autre mépris, peut-on résumer. Durant toutes ses déclarations depuis son arrivée, Gbagbo n’a pas cité une seule fois le nom de Ouattara. Que ce soit face aux médias ou face aux populations ou encore ses partisans. Même quand Laurent Gbagbo cache à peine sa volonté de reprendre sa carrière politique et évoque l’élection présidentielle de 2010 dont il se réclame vainqueur, il ne fait aucune allusion à Alassane Ouattara.
Le mépris de Ouattara pour Gbagbo et celui de Gbagbo pour Ouattara sont indubitablement le troisième couac sur la route de la réconciliation nationale. Comment peut-on se réconcilier si on ne se parle pas ? Comment peut-on tourner la page si on ne se pardonne pas ? Comment peut-on faire la paix si on se méprise si farouchement ? Telles sont les questions auxquelles les médiateurs africains et d’ailleurs qui ont convaincu Ouattara d’accepter le retour de Gbagbo devraient s’attaquer. Parce qu’à la vérité, le climat politique sous-jacent depuis plusieurs jours en a rajouté à la tension qui prévalait suite à la crise électorale de 2020. Et il n’augure pas de lendemains qui chantent.
Didier Depry