C’est incroyable ! Jusque-là, le retour en Côte d’Ivoire de tous les exilés, notamment ceux proches de Laurent Gbagbo, se fait sur la base d’un seul et même principe. Discussions ou négociations avec le gouvernement, accord de principe, accord définitif et retour au pays encadré avec des garanties qu’il n’y aurait pas de poursuites judiciaires.
Ce principe-là, disons-le sans œillères, était surtout valable pour les proches connus du chef de l’ancien parti au pouvoir. Que ce soit les Marcel Gossio, Komoé Kouadio, Hubert Oulaye, Assoa Adou, Koné Katinan ou autres, le retour a suivi la même voie. Un point à ne pas oublier, tout s’est fait au vu et au su de toute la communauté.
Cela est d’autant clair que lorsqu’ils sont sur leur terre natale, comme ils sont pour la plupart, des fonctionnaires de l’Etat, ils sont dans l’obligation de prendre langue avec l’administration. Et s’engagent de longues négociations qu’ils mèneront pied à pied afin d’obtenir leur réintégration dans le statut général de la Fonction publique pour redevenir des salariés.
Même le retour de Laurent Gbagbo, ancien chef d’Etat, n’a pas échappé à cette logique imposée par un pouvoir qui entendait ainsi se faire respecter. On se souvient encore que les discussions engagées avec le pouvoir d’Abidjan à travers ses lieutenants ont été très longues et parsemées de plusieurs embûches. Celles-ci ayant entrainé des éclats de voix et des déclarations dénonciatrices de la «mauvaise foi» du gouvernement.
On se souvient que même lorsque le sésame a été obtenu, il fallait encore renégocier des droits «acquis» : logement décent, moyens de locomotion, émoluments, rappel des émoluments, sécurité personnelle etc. Et ça a été de la mer à boire. L’ancien président du FPI qui sait qu’ici, rien ne s’obtient «sans bagarre», avait cependant bien compris que la seule vraie solution qui s’offrait à lui, c’était la négociation.
Dans cet esprit, une fois au pays, il a froissé son égo que l’on dit pourtant surdimensionné, pour se rendre au palais présidentiel et…rencontrer son «ennemi juré». On a gardé à l’esprit, comme si l’événement datait d’hier, un homme en chemise blanche à manches longues, pantalon et souliers noirs, silhouette longiligne d’à peu près un mètre quatre-vingt, les pas mesurés et se déplaçant à rythme lent. Il avait changé !
Oui. Il avait changé. Ne sortait-il pas de dix années de réclusion dans une prison occidentale, loin des siens ? Et, ce jour-là, à la surprise de ses fervents partisans, il a reconnu qu’il était l’ancien chef d’Etat et que Alassane Ouattara était le président de la République. Il venait, avec ce prononcé, de mettre fin à tous les débats sur l’élection présidentielle d’octobre 2010, dont les résultats ont conduit le pays dans un chambardement indescriptible. Il venait surtout de faire baisser la tension socio-politique. On avait compris le jeu. Il en valait la chandelle.
Quand arrive le tour du colistier de Gbagbo au procès de La Haye, de rentrer aussi en Côte d’Ivoire, le pouvoir qui a la suite dans les idées, soumet Blé Goudé au même purgatoire. Deux bonnes années d’attente avant d’avoir le laissez-passer pour rentrer chez lui. Mais alors que l’ancien secrétaire général de la FESCI s’était inscrit dans le même allant d’apaisement, il est curieusement soupçonné de «rouler» pour le pouvoir. En cause, les négociations engagées avec l’Etat pour son retour en terre ivoirienne, la transformation de son mouvement politique en parti politique et ses incessants appels à la cessation des hostilités afin de prendre le chemin de la paix.
Mais alors pourquoi Blé Goudé et pas les autres ? Pourquoi ce sont majoritairement les partisans de son mentor qui le vouent aux gémonies ? C’est simple, à nos yeux. C’est la politique. C’est un jeu qui se déroule dans une jungle. C’est le plus malin et/ou le plus fort qui gagne. Il faut être fort, en nombre, pour en imposer à l’adversaire. Et pour arriver à avoir le nombre requis, il faut être malin pour user d’entourloupes et noyer l’adversaire. De l’avis des partisans de l’ancien chef d’Etat, le refus de Blé Goudé de rejoindre le nouveau parti politique créé par leur chef fait de lui un adversaire comme tous les autres. D’où la diabolisation à outrance dont il est l’objet et la malédiction que l’on appelle à s’abattre sur lui.
Questions tout de même. Où est la logique quand on fait la paix avec Ouattara, qu’on le félicite publiquement pour la fenêtre qu’il a ouverte et qu’on ouvre un front avec le président du COJEP ? Où se situe le sens de l’honneur quand on se jette dans les bras du vieux parti, qu’on tisse même des relations politiques avec lui et que dans le même temps, on refuse d’entendre parler du jeune parti politique né de ses propres entrailles ? Pourquoi est-il si difficile, là-bas, de faire la paix avec soi-même qu’avec l’autre ? N’est-ce pas cette fâcheuse tendance à mépriser le soi-même pour l’ailleurs qui a entraîné l’affaiblissement dont, là-bas, on a du mal à se remettre ? Pourquoi ? Pourquoi ? Et si, là-bas, on apprenait un tant soi peu de ses erreurs ?
Abdoulaye Villard Sanogo