Dobet Gnahoré est la fille aînée de Boni Gnahoré, maître percussionniste de la Compagnie Ki Yi M’Bock d’Abidjan
Artiste ivoirienne à la trajectoire exceptionnelle et au succès phénoménal, Dobet Gnahoré reste sensible aux réalités et difficultés des artistes sous les tropiques africaines. Invitée du premier panel du 5e Forum régional baptisé « Notre Futur -Dialogues Afrique-Europe » organisé lors du 13e MASA le 20 avril dernier à la Salle Kodjo Ébouclé du Palais de la culture, l'artiste primée au Grammy Awards en 2010 a lancé un cri du cœur en mettant à nu les galères que vivent les artistes africains et plus singulièrement ivoiriens.
Taxée d'artiste qui fait « la musique pour blanc », Dobet Gnahoré a tenu d’entrée de jeu à rétablir la vérité. « Je suis une artiste ivoirienne, africaine qui parle du panafricanisme qui est vendue en Europe. Je ne joue pas beaucoup chez moi en Côte-d’Ivoire et en Afrique. Pourtant j’ai envie. Ils disent que je fais la musique pour blanc or je fais la musique pour africain. Qu’est-ce qu'on appelle musique pour blanc et qu'est-ce qu’on appelle musique pour africain ? », s’interroge-t-elle avant d’expliquer. « J'ai été élevée dans un milieu panafricain. On m'a enseigné à mettre en avant ma culture. Et d'une certaine manière, je le fais avec beaucoup de mixte. Parce que je suis une artiste et un enfant de cette nouvelle époque d'internet et d’ouverture sur le monde ».
Heureuse et fière de l'énorme potentiel de l’Afrique, l'artiste qui a conquis le monde avec son titre « Paléa » n'y va pas de main morte pour égrainer les misères au cœur de l’industrie musicale africaine. « Je suis très triste de savoir qu'on a du potentiel. (...) On a un énorme potentiel en Afrique. L’extérieur vient puiser en Afrique. Et nous ici, nous nous oublions. Ça va jusqu’à se décaper la peau, se mettre les perruques sur la tête pour ressembler à l’autre. Cela parce qu’on s’est oublié », lance Dobet Gnahoré qui poursuit son réquisitoire. « Je suis très triste de savoir qu’on a des artistes qui ont envie de développer leur technique vocale, scénique et jouer partout. Mais on n'a pas d’endroits où jouer. Un artiste ivoirien, je ne parle pas de moi parce que j’ai commencé là-bas (En Europe), j’ai un agent, des gens qui s'occupent de moi donc je tourne. Je gagne un peu et j'arrive à manger à ma faim. J’arrive également à faire manger ma famille, Dieu merci. Mais ces artistes ici qui ont envie de faire manger leurs familles (...), ils n'ont pas cette possibilité ».
L'épineux sujet des salles de spectacles et la production n'ont guère échappé à la reine de l'Afro Pop, autrice de six (6) albums à succès. « Le continent africain est hyper riche. Il y a des gens qui ont des têtes bien faites et pleines, il y a du travail et également de la main-d'œuvre. On peut donc construire dans chaque arrondissement. Dans les quartiers, on peut avoir de petites salles et on peut mettre en place pas grand-chose. Je ne l'ai pas fait, je suis donc aussi fautive. Mais il faut reconnaître que les artistes n'ont pas d'endroits pour jouer. C'est triste. On n'a pas de liste comme à Bruxelles ou à Paris pour savoir ce qui se passe dans les salles le mois. Je peux aller voir du théâtre ici ou des expositions là. Je n’ai pas à chercher sur internet 10.000 fois. C’est là, à ma portée. Ici, on n'a pas ça », dira Dobet Gnahoré qui ajoute. « Le combat c'est d'avoir une bonne communauté africaine. Et ensemble, il faut convaincre le politique. Nous, on a un peu de sou. On peut faire des choses. J’ai commencé à produire des artistes mais on n'est pas allé très loin. Ça s'est vautré parce que je n'étais pas accompagnée. Ça s'est vautré parce que je ne savais pas où aller chercher de l’aide. J’ai commencé avec ma poche mais un moment, ma poche a été trouée ».
En dépit de ce tableau assez sombre, Dobet Gnahoré reste optimiste quant à l’envol de l’industrie musicale en Côte d’Ivoire et en Afrique. Pour elle, il y a de l'espoir. « Bien sûr ! Dans toute chose, il y a le positif et le négatif. Aujourd'hui, l’industrie musicale est en train d'atteindre un niveau très fort et très urbain. Et ça marche très bien pour ceux qui arrivent à trouver leurs voies comme Didi B, Tamsir, le Rap et bien d’autres comme Roseline Layo. Mais il y a plusieurs voies pour aller quelque part. Là, il y a une voie qui est favorisée car elle touche beaucoup de gens. Mais on oublie de mettre en avant l'autre voie. Je veux parler de la culture, de la tradition. Il en va de même pour la créativité. Il faudrait donc donner la possibilité à chacun de pourvoir vivre de son métier. Parce que le RAP marche, tout le monde voudra faire le RAP alors qu'on est né dans des musiques qui viennent du nord, de l’ouest tel le gbégbé et autres. Et c'est ça qui fait que nous ne parvenons pas à nous vendre à l’extérieur. Valorisons donc le RAP mais valorisons également ce que nous sommes. C'est très important », a conclu l'artiste de 41 ans et grosse fierté des Labels Cumbancha.
Dobet Gnahoré prépare son 7e album qui sortira en juin prochain. Il s'en suivra une tournée américaine.
Source : abidjanpress