Les autorités maliennes ne devraient pas tarder à comprendre qu’elles ne doivent pas extrader l’Ivoirien Sess Soukou Mohamed dit Ben Souk, arrêté le 10 août 2021 à Bamako.
Le scénario diplomatique et judiciaire ayant abouti à l’arrestation de Sess Soukou Mohamed le 10 août dernier à Bamako, est facile à reconstituer.
En effet, la coïncidence des évènements montre que l’interpellation de l’ex-député-maire de Dabou a un lien étroit avec la demande d’extradition de Karim Kéïta formulée récemment auprès des autorités ivoiriennes par celles du Mali.
La justice malienne se dit convaincue de la présence, sur le territoire ivoirien, du fils de l’ex-Président Ibrahim Boubacar Kéïta. Il est recherché par le procureur Idrissa Hamidou Touré qui veut l’entendre sur la disparition du journaliste Birama Touré, qui travaillait pour l’hebdomadaire Le Sphinx, et qui n’a plus été aperçu depuis le 29 janvier 2016. C’est le même procureur près le Tribunal de Grande Instance de la commune IV du District de Bamako qui a annoncé la semaine dernière l’arrestation de l’exilé ivoirien.
Vraisemblablement, Abidjan a conditionné l’exécution du mandat d’arrêt international émis par Bamako contre Karim Kéïta via Interpol, à l’exécution de celui décerné par le même canal le 16 novembre 2020 par la juge d’instruction du 9e cabinet d’instruction du Tribunal de Première instance d’Abidjan-Plateau, à l’encontre de Sess Soukou Mohamed dit Ben Souk. Ce dernier, on le sait, a trouvé refuge au Mali suite à la traque lancée par le régime d’Alassane Ouattara contre Guillaume Soro et ses proches depuis décembre 2019. L’ancien élu de Dabou, fidèle de l’ancien chef du Parlement ivoirien, déjà jugé par contumace et condamné à 20 ans de prison ferme par le tribunal criminel d’Abidjan, est recherché selon le mandat cité par le procureur malien, pour « actes subversifs pouvant admettre une qualification pénale commis sur le territoire » ivoirien. Depuis novembre 2020, le Mali, comme il en a le droit, n’avait pas jugé opportun d’exécuter ledit mandat. Mais à présent, il le fait dans l’espoir que Karim Kéïta lui soit livré par la Côte d’Ivoire.
Selon le Procureur Idrissa Hamidou Touré, « une commission spéciale d'enquêtes préliminaires dirigée par le commandant du groupement territorial de gendarmerie de Bamako, a été mise en place pour se pencher sur le dossier, identifier les différentes implications et déterminer leur volonté criminelle ». En ouvrant ce dossier, les enquêteurs maliens ne mettraient pas de temps à constater le caractère politique des poursuites judiciaires engagées par Abidjan contre leur hôte. Un caractère politique mis à nu par le procès de juin dernier. Un procès au cours duquel des accusés ont été interrogés sur les raisons de leur fidélité à Guillaume Soro et jusqu’à quand ils étaient prêts à lui rester fidèles. Ainsi, les juges maliens se rendront compte, bien qu’ils tiennent à ce que Karim Kéita leur soit remis, et bien que Ben Souk soit déjà sous le coup d’une condamnation judiciaire, que celui-ci ne mérite pas d’être livré à la justice ivoirienne car il est innocent. Son seul ‘’crime’’, sa fidélité à Guillaume Soro, l’ennemi juré à qui le régime d’Abidjan cherche à faire mal en brandissant Ben Souk comme un trophée de guerre. Ce caractère politique des poursuites contre Soro et ses proches a été aussi relevé par la Cour Africaine des Droit de l’Homme et des Peuples (CADHP) dans son ordonnance du 22 avril 2020. Elle avait alors exigé la suspension du mandat d’arrêt émis par Abidjan contre l’ancien président de l’Assemblée nationale et la libération de ses proches incarcérés. L’Union interparlementaire (UIP) a, à son tour, décelé les motivations politiques de la traque judiciaire ciblant les pro-Soro. Elle avait notamment demandé la libération des députés faisant partie des détenus. Les dirigeants ivoiriens sont restés sourds devant toutes ces demandes. Le gouvernement ivoirien a même décidé de se retirer de la déclaration de compétence de la CADHP fin avril 2020. Ces mauvais élèves du droit international ne devraient donc pas mériter l’attention des autorités maliennes. Au risque de se discréditer elles-aussi en matière de droits de l’Homme et de libertés démocratiques.
Cissé Sindou