Décédé officiellement le 7 décembre 1993 à Yamoussoukro, Félix Houphouët-Boigny, le premier chef de l’Etat de Côte d’Ivoire, a régné sans partage sur le pays pendant 33 ans, 30 années de parti unique et évidemment trois ans de multipartisme que les contingences internationales ainsi que le fort sentiment de changement en interne lui ont imposé. Mais au-delà de tout, ce qu’il faut retenir, c’est que le Vieux, comme les Ivoiriens aimaient à l’appeler, a voulu mourir au pouvoir et il est effectivement mort au pouvoir.
Félix Houphouët-Boigny aurait pu en 1985 prendre sa retraite définitive de la tête de la Côte d’Ivoire pour deux raisons fondamentales. D’une part, il avait affirmé à cette époque, recevant les jeunes du Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (MEECI), structure inféodée au parti unique d’alors, le PDCI-RDA, et dirigé par l’étudiant en pharmacie Véi Bernard, qu’il dédiait le mandat présidentiel de 1985 à 1990 à la jeunesse. Houphouët avait la latitude de céder la place aux plus jeunes que lui qu’il avait formés et qui attendaient dans l’antichambre avec à leur tête Henri Konan Bédié. D’autre part, âgé de 80 ans en 1985 et ayant une santé qui déclinait peu à peu, déjà à cette époque, Houphouët-Boigny n’aurait pas tenté le diable en s’éclipsant. Il aurait eu le temps de mieux se soigner, prendre du repos et surtout veiller à ce que l’élection présidentielle de 1985 à laquelle il ne serait pas candidat, se déroule dans de bonnes conditions.
Fait notable, Houphouët-Boigny, le père de la Françafrique, aurait pris l’ascendance sur tout le monde en matière de transparence électorale et de processus démocratique s’il réinstaurait en même temps le multipartisme et permettait un scrutin ouvert à tous. Houphouët aurait alors mieux agi que Senghor. Malheureusement, il a voulu mourir au pouvoir tel un monarque ancestral dont le successeur n’est connu qu’après sa mort. Cette situation a entrainé la Côte d’Ivoire dans tout ce que nous avons vécu de 1990 à 1993 et à partir de 1993 à nos jours. Guerre de succession, coup d’Etat, rébellion armée, crise post-électorale et réconciliation nationale introuvable.
Durant les deux décennies qui ont suivi le décès de Félix Houphouët-Boigny, tous ses quatre successeurs à la tête de la Côte d’Ivoire (Bédié, Guéi, Gbagbo et Ouattara) ne se sont pas démarqués de la conception politique d’Houphouët, plus précisément de son rapport au pouvoir d’Etat. Comme Houphouët-Boigny, de 1990 à 19993, ils ont tous les pieds dans le multipartisme et la tête dans le parti unique. Comme Houphouët-Boigny, ils veulent tous mourir au pouvoir. Si Robert Guéi était encore vivant, il aurait eu la même approche vis-à-vis du pouvoir d’Etat que Bédié, Gbagbo et Ouattara. Comme Houphouët, ils veulent que la vie politique dans le pays se déroule au gré de leurs désidératas et que les ambitions présidentielles des autres si elles devraient s’exprimer ne se fassent qu’après leur disparition. Guillaume Soro est confronté à cette situation face à Ouattara, Jean-Louis Billon face à Bédié et Affi N’Guessan face à Gbagbo.
A quatre ans de l’élection présidentielle d’octobre 2025, l’esprit Houphouët enrobé au parti unique n’a pas encore quitté les cœurs des « quatre grands ». Ouattara lorgne vers un quatrième mandat en dépit du désastre sociopolitique que l’avènement du troisième mandat jugé illégal par son opposition a créé en 2020 ; quant à Bédié et Gbagbo, ils rêvent d’un retour au palais présidentiel. Chaque camp affûte ses armes et la bataille s’annonce épique. Les plus optimistes des Ivoiriens croient savoir qu’en 2022, une réforme constitutionnelle pourrait ramener dans la loi fondamentale, la limite d’âge des candidats à l’élection présidentielle à 75 ans. Ce qui pourrait permettre à la Côte d’Ivoire de vaincre le signe indien. Les moins optimistes redoutent une rebelote de l’après Houphouët. Au-delà de tout, il faut retenir que la Côte d’Ivoire n’est visiblement pas sortie de l’ornière.
Didier Depry
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