Cheikh Sonta Moustapha, Khalife général de la Tidjaniya en Côte d'Ivoire, président de la Fondation Mohamed VI des Oulema africains section Côte d’Ivoire, a accordé une interview à L’inter, jeudi 24 février 2022, à l’hôtel Radisson Blu d’Abidjan Port-Bouët, en marge d’un colloque international sur le dialogue interreligieux. Ce colloque avait pour thème central : « Le message éternel des religions ». Il a réuni 34 pays africains.
Quand a été créée la section Côte d'Ivoire de la Fondation Mohammed VI des Oulema africains ?
La Fondation Mohammed VI des Oulema africains a été créée par Sa Majesté le Roi Mohamed VI en 2015. Depuis la création de cette fondation de façon officielle, Sa Majesté le Roi lui-même en est le président. Il y a un président délégué qui est son ministre des Affaires islamiques et des Habous, qui s'appelle Ahmed Taoufik, avec le secrétaire général Sidi Mohamed Rifki. Ils ont donné l’autorisation à certains pays africains de créer leur section. Ici en Côte d'Ivoire, c’est Cheikh Boikary Fofana (Paix à son âme) qui a été le premier président de cette fondation.
A la création de la Fondation Mohamed VI au niveau ivoirien, il y avait de petites difficultés d'adaptation : le nom, les lois etc. Cela a duré près d'un an, puis la fondation a été créée avec le Cheikh Boikary Fofana et quatre autres membres permanents. Les membres permanents ont été choisis par le Maroc. Il s'agit, en plus de Cheikh Boikary Fofana, de Cheikh Mamadou Traoré, tous deux Cheickoul Aïma, Dr. Younouss Touré et votre serviteur, Cheikh Sonta Moustapha. Une fois la section de la Côte d’Ivoire créée, nous avons mis en place le bureau de la Côte d'Ivoire, avec le consentement des membres permanents.
Depuis quand vous dirigez cette section ?
Comme je l'ai dit tantôt, cette section a été dirigée par le Cheikh Boikary Fofana (Paix à son âme !). Après lui, il y a eu le Cheikh Mamadou Traoré (Paix à son âme !). C'est quand ce dernier est décédé, le ramadan passé, que j'ai été élu président. Depuis le ramadan, ça ne fait pas encore un an. Donc je suis un nouveau président.
Avec les tâches que mes pairs ont laissées, j'ai essayé d'organiser cette fondation comme je peux. Depuis leur départ, la première grande activité est ce colloque international sur le dialogue interreligieux.
Quelles sont vos missions ?
Les missions, il y en a beaucoup, parce que la Fondation Mohammed VI des Ouléma africains a été créée pour aborder un certain nombre de questions. Je parlerai de l'islam vrai, l'islam authentique, l'islam tolérant, l'islam de nos ancêtres. Si l'islam a eu cette assise depuis le Maroc et dans toute l'Afrique, surtout en Côte d'Ivoire, c'est parce que nos grands-parents ont pratiqué cet islam avec la vérité, la sincérité, la tolérance. Avec un discours clair, un discours tolérant. Il n'y avait pas de discours guerrier. Beaucoup de gens se sont convertis à l'islam parce qu'ils ont aimé la façon de faire des musulmans, la façon de parler, de prêcher, d'agir, la façon d'être des voisins, des amis, des frères. Mais aujourd'hui, l'islam que nous voyons, l'islam violent, l'islam extrémiste et l'islam guerrier, ce n'est pas l'islam que le Prophète nous a légué comme héritage. Le vrai islam, c'est un islam tolérant. Lorsque vous lisez l’histoire du Prophète, vous constatez qu'il a été l'homme le plus tolérant. Depuis qu'il est devenu Prophète, même bien avant, il avait un bon comportement. Pour cette raison, les Mecquois ont fait de lui une banque dans sa jeunesse. Il était comme la banque des Mecquois : tous ceux qui avaient des choses précieuses, de l'argent par exemple, les lui confiaient. Les Mecquois l'ont surnommé "homme de confiance". Ce ne sont pas ses parents qui lui ont donné ce nom. Quand il est devenu prophète, Dieu en parlant de lui, dans une sourate du Coran, a dit : « tu es d'un caractère extraordinaire ». C'est ainsi que Dieu a qualifié le Prophète. Dieu n'a pas dit : « tu pries beaucoup ». Il n'a pas dit : « tu jeûnes beaucoup ». Il n’a pas dit : « tu fais beaucoup de djihad ». Il n'a pas dit : « tu prêches beaucoup ». Dieu a dit seulement « tu es d'un caractère extraordinaire ». Cela veut dire qu'avec son élégance, sa tolérance, son discours apaisé, les gens ont aimé l'islam et les gens ont adhéré à l'islam. C'est cette mission que nous avons dans la Fondation Mohammed VI des Oulema africains : prêcher le vrai visage de l'islam, montrer ce visage aux personnes.
Il y a des musulmans qui ne connaissent même pas leur religion. Ils sont musulmans pratiquants, mais ils ne connaissent pas la profondeur de leur religion. Donc, cette fondation est venue pour présenter le vrai visage de l'islam, pour qu'on comprenne que l'islam, ce n'est pas ce qu'on montre avec la violence, l'extrémisme, la négativité. L'islam, c'est la positivité. L'islam, c'est la démocratie, la tolérance. L'islam, c'est l'accomplissement même de l'être humain. L'islam, c'est l'homme idéal qui devient un musulman vrai.
Dans l’accomplissement de vos missions, quelles difficultés rencontrez-vous ?
Pour le moment, il n'y a pas de difficultés par rapport aux actions que nous menons. Les deux ex-présidents avaient des projets qu'ils ont laissés. Ce sont ces projets que je suis en train de réaliser. On avait le projet d'une grande conférence sur le soufisme pour montrer ce que c'est que le soufisme de façon générale. Quand on parle de soufisme, des écoles soufies, il y en a tellement, dont la Tidjaniya. Il y a une centaine d'écoles spirituelles soufies qui existent. Mais ici en Afrique, surtout en Côte d'Ivoire, c'est peut-être deux ou trois écoles seulement qu'on voit. C'est dire que pour le moment, je ne souhaite même pas rencontrer de difficultés. Les projets que mes prédécesseurs ont laissés, ce sont ces projets que je cherche à réaliser, avant de mettre mes projets en place, inch'Allah.
A l’occasion de ce colloque international sur le dialogue interreligieux, vous avez abordé les moyens de lutte contre la radicalisation et l'extrémisme religieux violent. Quelles solutions concrètes préconisez-vous ?
Nous avons organisé le colloque international sur le dialogue interreligieux musulmans - chrétiens, pour parler du "message éternel des religions", c'est -à -dire la paix. Parlant de la paix, face à toutes les menaces que nous connaissons, nous pensons que notre organisation peut apporter quelque chose. Je pense que c'est la première fois que les musulmans et les chrétiens, à un haut niveau, se mettent ensemble pour organiser quelque chose. Faire des conférences entre chrétiens et musulmans ici en Côte d'Ivoire, c'est la première fois. Et puis, il y a des chrétiens qui sont venus d'ailleurs, des musulmans également. Il y avait de l'engouement et de la détermination. Les gens ont vraiment fait leurs conférences avec sincérité.
On sent que les guides religieux veulent apporter des solutions. Donc en les mettant ensemble, en organisant ce colloque, justement, c'est pour trouver des solutions. Avec tout ce que nous avons entendu, lors des conférences, des panels, on a compris qu’il est possible d’avoir la solution à l'extrémisme violent.
Il y a un conférencier qui a expliqué que les origines de ce problème sont la pauvreté et la radicalisation. Il y a aussi l'endoctrinement et ainsi de suite. Si c'est la pauvreté qui est à la base de l’extrémisme violent, il est possible d’orienter les jeunes gens qui vont de l’autre côté, leur dire ce qu’on leur propose, les sensibiliser sur le fait qu’ils peuvent trouver mieux ailleurs. Surtout, ce sont les religieux qui peuvent apporter quelque chose, les chrétiens et les musulmans.
Je pense qu’avec la charte de la paix d'Abidjan que nous avons élaborée, des résolutions seront mises en œuvre. Ce sera la feuille de route des guides religieux. On saura comment aborder le phénomène de l'extrémisme sur le terrain.
Je pense que nos frères et nos enfants peuvent changer avec la bonne approche, avec le bon message, avec de bonnes solutions. Il y a de l'espoir et les choses peuvent rentrer dans l'ordre. L'Afrique peut se retrouver, surtout la Côte d'Ivoire. Même le monde entier peut se retrouver par rapport à ce que nous sommes en train de chercher comme solution.
Comment les lieux de culte permettront de mettre en application la charte de la paix ?
Elle sera relayée. C’est pour cette raison que les imams sont invités à ce colloque. Le Cosim est là. C'est vrai que c'est la Fondation Mohammed VI des Oulema africains qui organise ce colloque mais il est coorganisé par le Cosim. Le Cosim, c’est le Conseil supérieur des imams, des mosquées et des affaires islamiques en Côte d'Ivoire. Donc, il y a beaucoup d'imams qui sont là. Quand le Cosim est là, ça veut dire que le message sera relayé dans les mosquées, à l'intérieur du pays. Et tout le monde aura le message. Il y a une stratégie de travail avec le Cosim. Et je pense qu'avec cette stratégie, le message passera, inch'Allah.
Vous parlez de dialogue inter-religieux. Il y a des chrétiens. La présence des juifs a été signalée. Mais il y a d'autres religions qui existent. Pourquoi ne pas les avoir associées aussi à ce colloque ?
Ici en Côte d’Ivoire, les musulmans ont l'habitude de travailler avec les chrétiens dans leur ensemble. Quand on parle de chrétiens, il y a beaucoup de groupes de chrétiens. C’est avec les chrétiens que les musulmans travaillent pour le moment. Si le travail se passe bien avec les chrétiens, si on a pu faire asseoir une base, les autres viendront sans problème. En toute chose, il faut un départ. Donc le départ, c'est avec les frères chrétiens. Après, on fera appel aux autres religions pour nous rejoindre, inch’Allah, s'ils veulent bien.
Depuis un certain temps, une grande mosquée est en construction à Abidjan-Treichville, sous le leadership du roi Mohammed VI. Comment cet édifice religieux pourra servir à la lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent ?
Le rôle des mosquées, c'est d'abord les prières, ensuite éduquer les gens. C’est pour cela qu'on prêche dans les mosquées : éduquer les fidèles musulmans, les orienter vers le bien, les guider vers la positivité. C'est ce rôle que la mosquée va jouer parce que c'est le rôle de toutes les mosquées. Les mosquées sont comme des universités. Quand vous allez à la mosquée, vous apprenez la religion. Vous apprenez la profondeur de votre religion. Vous apprenez à être humain. Vous apprenez à collaborer avec les autres. C'est pour cette raison qu'à la mosquée, on prie en groupe. Vous apprenez à appartenir à une communauté. Vous apprenez à être un bienfaiteur parce qu'il y a des pauvres et des riches dans les mosquées. Vous apprenez à aider votre prochain. La mosquée, c'est l'université musulmane parce que dans l'histoire de l'islam, c'est à la mosquée que les universités ont commencé. Avant que ce ne soit les amphithéâtres et autres, c'est à la mosquée que ça se passait. Au Maroc, il y a une mosquée qui a gardé son authenticité d’université, appelée l'Université Al Quaraouiyine. Cela fait sept siècles que cette mosquée existe. Aujourd’hui, des Ivoiriens vont dans cette mosquée qui est une université. Ils y sont formés. Ils ont des diplômes reconnus par l'État. Je pense que c'est ce même rôle que la mosquée de Sa Majesté le Roi Mohamed VI du Maroc va jouer.
Du vendredi 25 au dimanche 27 février 2022 à Abidjan, s’est tenue la deuxième édition de la Wadzifa internationale qui s'inscrit également dans le cadre de la paix. À l’occasion, vous avez fait des invocations. Parlez-nous de leur importance et de leur dimension spirituelle !
Dieu merci ! Nous avons donné à cette cérémonie le nom de la Wadzifa internationale. Quand on parle de Wadzifa, c’est l’appellation d’une invocation que les musulmans tidjanis font tous les jours. La Wadzifa se fait une fois toutes les 24 heures. La Wadzifa, c’est de demander pardon à Dieu. Et c'est ce qu'on fait.
Mais là, on a décidé de faire de cela une fête de la Tidjaniya. C'est vrai qu’en Côte d'Ivoire, on a l'habitude de fêter les Maoulid, de faire des prêches, beaucoup de choses, mais on ne voit pas une activité typique Tidjani. C’est pour cette raison qu’on a décidé qu’au niveau de la Tidjaniya, il y ait quelque chose de spécial. C’est pour cela qu’on a dénommé cette fête la Wadzifa internationale.
Cela a commencé avec la Wadzifa communale, suivie de la Wadzifa régionale, la Wadzifa amicale et la Wadzifa nationale. On a fait cela pendant plusieurs années et ça a abouti à la Wadzifa internationale. On a invité la sous-région pour venir faire cette Wadzifa avec nous. Inch’Allah, c’est ainsi que ça s’est passé.
Au niveau de la dimension spirituelle de la Wadzifa, c'est pour reconnaitre l'unicité de Dieu. Et là, ça englobe toutes les invocations. On a levé les mains, les voix, pour demander pardon à Dieu pour notre pays, pour l'Afrique, pour la sous-région et pour le monde. Les invités sont venus de toute la Côte d'Ivoire.
Nous avons invité des guides Tidjanis de toute la Côte d'Ivoire. Il y a eu 200 invités spéciaux. Samedi 26 février 2022, il y a eu une journée scientifique au cours de laquelle on a parlé de l’unité de la Tidjaniya, l'union des Tidjanis pour que ça soit une réalité en Côte d’Ivoire, dans la sous-région et dans le monde.
Le dimanche 27 février 2022, l'apothéose a eu lieu dans la commune d'Abobo à PK 18, à la Zawiya mère de la Tidjaniya en Côte d'Ivoire. Il y a eu la présence de Sidi Mohamed El Kabir, le grand khalife de la Tidjaniya du Maroc, qui est venu avec 35 grands moukadams, des savants, des connaisseurs.
On compte faire cela tous les deux ans parce que cela demande beaucoup de choses. Ce n'est pas une mince affaire. C'est une grande organisation que nous avons mise en place. On a reçu entre 12 000 à 15 000 personnes du vendredi au dimanche.
La Tidjaniya travaille sur trois parties de l’être humain : la raison, le cœur, et l’âme. Si votre raisonnement est clair, votre cœur reçoit de la lumière, votre âme est purifiée, vous êtes devenu un homme de Dieu. Mais c’est difficile. C’est un long processus, une longue démarche. La finalité, c'est la réalisation spirituelle, c'est la purification. C'est devenir l’homme idéal dans l’islam. Un homme bon, réalisé spirituellement, peut représenter cent (100) personnes. Une seule personne peut représenter 100 personnes avec sa valeur spirituelle.
Que les Tidjanis cherchent à connaître leur religion et à se réaliser en Dieu réellement. Qu’ils cherchent à être sincères. C’est comme ça que nos devanciers ont travaillé. On doit suivre leur chemin.
Source : Le Journal L’Inter