Effondrement de bâtiment, glissement de terrain : Incursion dans la misère des quartiers précaires d’Abidjan





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Les gros trous qui jonchent les quartiers précaires augmentent les risques d'éboulement



Les fortes pluies qui frappent la Côte d'Ivoire depuis le mois de mai, provoquent de nombreux dégâts dans le pays. La capitale économique ivoirienne, Abidjan, en paye le fort prix. Effondrement de bâtiment, glissement de terrain, inondation sont les maux de la capitale en saison pluvieuse. La ville d’Abidjan étant la plus peuplée de la Côte d’Ivoire, avec ses 13 communes ,357 quartiers et environ 5 millions d’habitants dont plus d’un cinquième vivent dans les quartiers précaires.

La ville se voit, malheureusement, pendant la saison des pluies, confrontée à un désastre dans ses communes, surtout dans les quartiers précaires.

En 2019, plus de 132 quartiers précaires abritant environ 1,2 million d'habitants ont été dénombrés par le ministère de la Construction.

Malheureusement, ces épisodes de mauvais temps prennent des contours tragiques puisqu’ils causent par moment des blessés graves et des pertes en vies humaines. Suite à cette situation, comment vivent les habitants de ces quartiers en cette nouvelle saison pluvieuse, quelles précautions prennent-ils et pourquoi vivent-ils toujours dans ces zones à risque ? C’est à ces interrogations que répondent des habitants de quelques quartiers précaires que nous avons visités. Dans le cadre de notre enquête, nous nous sommes rendus à Gbinta et Gesco à Yopougon et Mossikro situé dans la commune d’Attékoubé.

Il est environ 11h quand nous arrivons à Gbinta à Yopougon-Niangon. À notre arrivée, nous sommes tout de suite attirés par un gros trou ouvert de part et d’autre de la voie principale. D’un côté, nous avons le marché et de l’autre les habitations. L’entrée du quartier est carrément bloquée par les vendeurs ambulants. Après avoir forcé un petit peu, nous avons pu passer. Une fois passé, nous avons dû traverser un gros trou contenant de l’eau de ruissellement. A peine avons-nous franchi l’entrée du quartier que nous sommes tout de suite attirés par la précarité de vie des habitants et le danger qu’ils encourent à longueur de journée. Ce fut un véritable choc pour nous de voir des habitats sur des terrains glissants, des logements construits à moins d’un mètre des gros trous et tout cela avec des enfants qui y vivent. Toujours sous le choc, nous sommes interpellés et empêchés de continuer notre chemin par un individu qui est, à vue d'œil, ivre. Il nous arrête en nous traitant de personnes de mauvaise volonté. « Tu es venu dans mon quartier pour enquêter et allé faire un rapport à ADO pour casser mon quartier. Mais tu as échoué. Je vais te frapper et tu iras rendre compte à ADO, ton envoyeur », a-t-il lancé d’un ton furieux. 

L’insécurité, le quotidien des quartiers précaires

Renseignement pris, l’individu en question est connu dans le quartier pour son agressivité et sa propension à attirer les regards sur lui. Heureusement pour nous, des jeunes du quartier se sont tout de suite interposés contre sa volonté de nous brutaliser. Nous sommes priés de quitter les lieux parce que, selon eux, le quartier n’a pas besoins de nous. Nous nous empressons de nous éloigner.

La sortie et l'entrée du quartier présentent le même aspect. Dans notre quête d’une sortie de secours, nous sommes interpellés par une dame à l'intérieur d’un salon de couture. Cette dernière, la propriétaire, s’est montrée très serviable avec nous en nous offrant un siège afin de patienter le temps que la tension baisse dehors. Dans nos échanges, ‘’M.N.’’, comme elle se fait appeler par son entourage, a bien voulu répondre à quelques questions tout en nous priant de préserver son anonymat. Elle nous révèle que chaque fin de pluie dans son quartier est comme une résurrection. « On a tous peur quand il pleut, moi-même j’ai deux filles et quand il pleut j’ai peur pour moi et mes enfants. Je suis parfois à l’atelier quand il pleut. Dans ce cas, j’ai peur pour mes enfants qui sont à la maison, j’ai peur de rentrer à la maison et les trouver noyés ou emportés par l’eau », relate la dame d’une voix tremblante.

M.N. ajoute qu’ils font face, chaque jour, pendant la saison pluvieuse, à la mort.  « Quand il pleut, ce n’est même pas la noyade qui nous fait le plus peur. Vous voyez comment les fils de courant sont entremêlés, c’est ce qui nous fait peur. On a déjà eu un décès par électrocution pendant la saison des pluies. Quand il pleut l’eau coule dans les maisons donc quand on ne surveille pas les enfants un malheur peut facilement se produire », a-t-elle déploré.

Dans ses déclarations, elle n’a pas manqué de montrer son inquiétude face à la décision de déguerpissement des quartiers précaires prise par le gouvernement ivoirien. « C’est vrai que vivre ici n’est pas facile mais si l’état nous chasse on va aller où ? Je suis veuve et je suis seul avec mes enfants et la fille de ma sœur décédée. Nous n’avons nulle part où aller. Ce salon de couture c’est tout ce que j’ai. J’ai un asthme qui ne me lâche pas. Si l’Etat m’arrache tout ce qui me permet de survivre avec mes enfants, qu’est ce qu’on va devenir ? Si je perds mon atelier je ne sais pas si je pourrai supporter avec mon état de santé », supplie la dame d’une voix timide.

Quelque temps après, notre interlocutrice nous fait savoir que la voie était libre. Nous sommes donc sortis du quartier en toute sécurité. 

Après Gbinta, le second quartier où nous nous sommes rendus était Gesco. Un autre bidonville de Yopougon. Du terminus des bus, nous avons dû traverser l’autoroute du Nord, la Nationale A3, pour avoir accès à ce sous-quartier. C’est Mme Zike qui accepte de nous parler de la vie à Gesco. Habitant du quartier depuis 2 mois, elle nous révèle que les tricycles y font régulièrement des accidents à cause des glissements de terrain. Elle nous a même confié qu’il y a un mur qui était tombé pendant la pluie du 23 mai 2022, tuant une fillette de l’autre côté de la voie. Pour elle, les fautifs sont les propriétaires des logements.  «  Ce sont les propriétaires de maisons que l’Etat doit poursuivre, car ce sont eux qui construisent des maisons dans des zones à risque et mettent la vie de leurs locataire en danger », soutient-elle. A quelque pas d’elle, nous rencontrons une dame en train de se faire tresser par sa fille. C’est Mme Tano. Cette dernière dit habiter le quartier, depuis 2003, avec sa famille. Elle témoigne que depuis plus de 19 ans, il est difficile pour eux de vivre dans ce quartier pendant la saison pluvieuse.

La relocalisation, la réelle inquiétude des futurs déguerpis

« Quand il pleut, l'eau coule dans les maisons et c’est compliqué. Le courant d’eau est très fort par ici. En 2011, l’eau a même emporté un jeune qui voulait retirer sa brouette coincée dans un caniveau », a-t-elle révélé avec inquiétude. Après nos échanges, nous avons fait un tour dans quartier, afin de constater de visu les habitations. Des maisons construites en hauteur sans études préalables, d’autres dans des basfonds. Ici, Tout est à risque. 

Enfin, nous finissons notre tournée à Mossikro, un quartier situé entre Yopougon et Attécoubé. Ce sont les flaques d’eau usée et les creux qui nous accueillent. Après plus d’une heure passée dans le quartier, C’est M. Aboubakar qui a bien voulu nous parler. Les autres étant réticents. Sur un air déçu qu’il déplore la volonté de l'État ivoirien de déguerpir le quartier. Il nous annonce qu’ils ont même déjà reçu le courrier. « Nous sommes en train de nous préparer à partir, l’Etat va casser le quartier et on est déjà informé donc on va partir », affirme-t-il avec un air inquiet. « Tout ce qui m’inquiète, c’est ce que vont devenir les personnes âgées. Nous sommes jeunes et on peut se débrouiller. Mais les vieilles personnes à qui on demande de quitter leurs maisons, qu’est ce qu’ils vont faire ? Où vont-elles aller ? Que vont devenir les enfants ? Après quand les plus jeunes vont errer dans la rue et se livrer au banditisme, c’est pour dire qu’il y a trop d'insécurité dans le pays. Mais c’est comme ça que ça commence »,  a déploré Aboubakar tout déprimé. 

Une inquiétude partagée par tous les habitants des quartiers précaires. La vraie question qui se pose aujourd’hui, selon les dires de ces personnes, c’est la relocalisation. L’Etat l’a-t-il prévu ? Un autre leur sera-t-il trouvé ? Ce sont les vraies questions auxquelles ces derniers attendent des réponses. 

Florencia Gueu

(Stagiaire)

 

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