Dans la guerre de positionnement idéologique dans la société que livrent artistes et politiques, le petit peuple de militants politiques ne semble pas suivre. Victime qu’il est du suivisme et de son attachement atavique au mentor, il prend celui-ci pour un super homme qui ne saurait être repris sur certains sujets et faits.
Le vendredi 31 mars 2023, les militants du PPA-CI fêtaient le retour à la vie de leur leader, Laurent Gbagbo, après qu’il a passé une bonne dizaine d’années dans les geôles hollandaises de la CPI. A la tribune, l’homme, redevenu opposant politique, a dit ne pas comprendre que des victimes de la guerre post-électorale de 2010-2011 continuent de se plaindre de ne pas avoir été indemnisées.
Une fois la critique terminée, il a proposé que le processus de recherche des bourreaux de ces victimes reprenne, d’autant que lui, l’accusé dans les premiers moments, a été innocenté par la justice internationale. A la suite de ses propos on ne peut plus dérangeants, on n’a pas vu qu’il a été menacé de mort.
Avant lui, la veille, c’était le plus vieux parti politique de Côte d’Ivoire qui était rassemblé à son siège pour son 7ème congrès extraordinaire. Là aussi, l’opposant Bédié, comme de coutume, n’a pas failli à sa traditionnelle tâche : la critique de l’action gouvernementale suivie de propositions. Le nonagénaire (quelle longévité politique !) s’est élevé contre la pauvreté qui, de son propre constat, continue de ronger ses concitoyens.
Avant de mettre fin à son speech, il a proposé un dialogue politique franc, une formation de qualité pour les jeunes et un partage équitable des ressources afin de juguler cette crise. Ici non plus, il n’a pas été question de menaces contre la vie du président du PDCI. Est-ce parce que l’un et l’autre drainent du monde derrière eux ?
Sans aucun doute puisqu’avant leurs différentes interventions, l’artiste ivoirien de reggae, Kajeem, qui se bat aussi, à sa façon, pour un positionnement idéologique dans la société ivoirienne, a subi et continue de subir des menaces de mort pour avoir fait les mêmes critiques.
Le reggae-man, dans «Tu tournes film», titre tiré de son dernier tube Raggafrika, dénonce comme Bédié et Gbagbo, les imperfections du système politique actuel en mettant particulièrement le doigt sur les souffrances dans les ghettos. Mal lui en a pris. Il est sévèrement repris, apostrophé et violemment interpellé par des internautes qui lui reprochent de voir seulement ce qui ne va pas dans le pays.
Cela suffit-il à vouloir la mort de quelqu’un, de surcroît un artiste chanteur de reggae ? N’est-il pas, à travers cette critique, en train d’aider les décideurs à jeter un œil sur un pan de l’important chantier qui reste à faire ? Si ceux qui le menacent de mort acceptent les critiques de Bédié et Gbagbo, hommes politiques dont c’est le travail de critiquer les actions du gouvernement, ils devraient en faire autant pour Kajeem, chanteur de reggae.
Le reggae est une discipline artistique dont le but est principalement de voler au secours des pauvres, lesquels vivent traditionnellement en marge de la société, dans des conditions d’extrême pauvreté. Le vieux terme ghetto utilisé par l’artiste traduit pour lui tout le sens profond qu’il veut donner aux difficultés que rencontre une partie de la population. Difficultés dont la résorption pourrait instaurer l’amour entre les peuples.
Au reste, est-il judicieux de lui reprocher de voir d’un œil et dans le même temps de fonder ses critiques sur une seule partie de son œuvre ? «Tu tournes film» n’est pas que paroles d’un texte au service de la minorité. C’est aussi une voix posée sur des instruments dans un parfait accord. Une orchestration musicale qui nous réconcilie avec le reggae, façon Bob Marley des années 70, dans une simplicité sans pareil.
L’œuvre de Kajeem véhicule beaucoup de symboles. Elle se veut atemporelle. Elle veut traverser les époques comme le «No woman no cry» de l’intemporel King of Reggae. Elle veut être vue comme une œuvre d’esprit qui se renouvelle sans être retouchée à chaque moment d’écoute. Elle parle à tous les décideurs du monde. Elle est donc impersonnelle. C’est pour cela qu’elle utilise un langage universel comme la toute première note qui appelle l’attention du monde : les grands et les petits, les habitants des villas cossues et ceux des ghettos. Chapeau !
Abdoulaye Villard Sanogo