Il y a quelques semaines, les usagers des wôrô wôrô (taxi) de la ligne Terre rouge au carrefour Deux poteaux, à Port-Bouët Gonzagueville, ont constaté que ces véhicules de transport avaient disparu. Ils avaient été remplacés par les taxis inter-communaux de couleur jaune reconnus par la mairie de Port-Bouët.
Renseignements pris, des bagarres auraient éclaté entre les chauffeurs et les « gnambros » qui se font abusivement appelés syndicats. La police qui s’est rendue, à son tour, sur le terrain, a fait un constat : d’abord ces véhicules de transport, déjà en piteux état, ne disposent d’aucune pièce et ensuite ils fonctionnent tous au gaz butane.
Si depuis lors, on ne sait pas par quelle alchimie, ils ont fait leur retour, force est de reconnaître que rien n’a changé. Ils continuent de fonctionner, dans leur grande majorité, au gaz butane. Malgré les contrôles réguliers d’éléments de la police nationale. Comment cela est-il possible quand on sait que l’utilisation du gaz butane comme combustible des véhicules est interdit par la loi ?
Une pratique interdite par le gouvernement, et pourtant !
Le gouvernement ivoirien a, en effet, interdit l’utilisation du gaz butane comme carburant dans les véhicules personnels et de transport en commun, sur toute l’étendue du territoire national. La loi n° 92-469 du 30 juillet 1992 condamne l’utilisation du gaz butane à des fins de carburant par les véhicules d’une peine d’emprisonnement de quinze jours à un an et/ou d’une amende de 100.000 à 500.000 FCFA.
En février 2022, le ministre des Transports, Amadou Koné, dans la 3è édition du Gouv’talk, s’était montré formel : « Ce n’est pas autorisé dans notre pays. Après la sensibilisation, nous prévoyons la répression. Nous irons au démantèlement de toutes ces installations anarchiques qui rechargent ces véhicules en gaz butane ».
Voilà qui est clair. Mais, malgré ce texte de loi et les interpellations des autorités, la pratique a cours. Au vu et au su de tous.
Tout comme à Gonzagueville, d’autres quartiers et communes se sont abonnés, depuis longtemps, à l’utilisation du gaz butane comme carburant. Grand-Bassam, Adiaké, Locodjro, Bouaké, Korhogo, Gagnoa, etc. Un transporteur rencontré à Bonoua nous confiait ceci à notre passage : « Tout le monde le sait. Même le commissaire de police est au courant. La majorité des taxis communaux utilisent, ici, à Bonoua, le gaz butane. Je n’ai pas de statistiques, mais je sais qu’on doit avoisiner les 60 % à 70 % ». Est-il conscient du danger ? Sa réponse est précise et concise : « Personne ne l’ignore. Mais qui ne risque rien n’a rien ».
À Grand-Bassam, le jeune Niamké que nous avons rencontré dans l’une des nombreuses gares de fortune mise en place pour, d’après lui, veiller au bon fonctionnement du transport dans la commune, nous a confié que les chauffeurs n’ont pas d’autre choix face à l’augmentation continuelle du prix du carburant. « Avec une bombonne de gaz de 2 200 FCFA, on peut circuler pendant un jour et demi voire deux jours. Ce qui est impossible avec 10 litres de gasoil qui reviennent 6 550 FCFA. Vous-même vous voyez la différence ?», nous interroge-t-il.
Pour notre interlocuteur donc, l’augmentation des prix des produits pétroliers y est pour beaucoup dans le fait que les automobilistes, particulièrement les transporteurs, se tournent vers l’usage du gaz butane. Le Gasoil a atteint, faut-il le rappeler, la barre des 655 FCFA le litre, quand le super est à un niveau record de 815 FCFA. Dans de telles circonstances, selon Niamké, les chauffeurs n’ont pas réellement le choix. Il faut absolument tout mettre en œuvre pour maintenir et même accroître le bénéfice. Même s’il faut tordre le cou à la loi. Qu’en est-il des dangers auxquels ils s’exposent ? « On s’en remet à Dieu », nous répond-il.
Le gaz butane, un réel danger sur les routes
Et pourtant, l’utilisation du gaz butane comme combustible est vraiment dangereux. Et, les cas d’accident où il y a des pertes de vie humaine sont légion. On se souvient encore qu’en avril 2021, un taxi communal fonctionnant au gaz avait explosé à Locodjoro. Bilan, 3 personnes tuées dont deux entièrement calcinées.
Le mardi 4 janvier 2022, un taxi communal fonctionnant au gaz butane avait pris feu, à Ferkessédougou, chef-lieu de la région du Tchologo, faisant deux (2) victimes, le chauffeur et un mécanicien. Eux ont eu plus de chance. Ils ont eu la vie sauve mais ils étaient en piteux état. Ces deux exemples sont assez édifiants.
Outre l’explosion des véhicules fonctionnant au gaz butane (le butane est un gaz très inflammable au contact de l’air), il existe également des risques sanitaires pour les usagers. Dans une contribution intitulée « Les taxis à gaz, une autre forme de désordre urbain à Bouaké », Kouassi Kouamé Sylvestre, enseignant-chercheur au département de géographie à l’université Alassane Ouattara de Bouaké, a levé un coin de voile sur les dangers de l’utilisation du gaz. « … L’inhalation du gaz butane expose les usagers à des pathologies. Le butane est un dépresseur du système nerveux central lorsque sa concentration atteint 1,7 % (17 000 ppm). À haute concentration, il agit comme un asphyxiant simple et peut déplacer l'oxygène nécessaire à la respiration. Lorsque la concentration du butane atteint 7,2 % (72 000 ppm), le taux d'oxygène dans l'air diminue à 19,5 %. Le butane constitue ainsi un danger en espace clos, c’est pourquoi sa concentration doit y être inférieure ou égale à 10 % ou 1 800 ppm », a-t-il prévenu. Ajoutant que les symptômes principaux « associés à l'asphyxie sont des maux de tête, des nausées, des vertiges, de l'incoordination, des difficultés respiratoires et une perte de conscience pouvant aller jusqu'à la mort par anoxie (NDLR : diminution de la quantité d'oxygène que le sang distribue aux tissus) ».
Malgré tous ces risques énumérés, les transporteurs n’en ont cure. Ils exercent sans crainte. Pour certains, c’est même un droit acquis. Rappelons-nous qu’à Grand-Bassam, en février 2022, les chauffeurs de taxis-communaux avaient lancé une grève illimitée pour exprimer leur colère face aux contrôles de l’Office de la sécurité routière (OSER) qui leur interdisait l’usage du gaz butane comme carburant. Ils dénonçaient les contrôles « intempestifs et abusifs » et la mise en fourrière systématique des véhicules qui circulaient au gaz. Pourtant, des campagnes de sensibilisation avaient été engagées par l’OSER, bien avant la phase de répression.
Plus d’un an après, la vie continue dans la ville historique, les taxis communaux continuent d’exercer au gaz. Finalement, qui a reculé ? L’Etat ou les transporteurs ? Les réponses à ces questions du jeune Niamké sont évidentes.
Devant un tel constat, l’on est en droit de se demander : les autorités auraient-elles démissionné ? Les forces de l’ordre commises aux contrôles routiers ne voient-elles pas ces infractions ? Ferment-elles sciemment les yeux ? Pourquoi laissent-elles ces transporteurs continuer de fouler au pied la loi ? Autant de questions qui méritent réponses. Sinon, l’appel du général Vagondo Diomandé, ministre de l’Intérieur, appelant, le 2 mars 2023, lors d’une conférence de presse, à la mise en fourrière des véhicules utilisant le gaz butane comme carburant, restera lettre morte.
Modeste KONE