L’intervention militaire de la de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) au Niger pourrait avoir des conséquences sur la sécurité de la région et des pays voisins. Il serait mieux de chercher d’autres approches pour résoudre cette crise sans engager une intervention militaire risquée qui pourrait affecter la sécurité déjà fragile de la région. Controversée, la question de l’intervention militaire et suscite des débats à la veille du nouveau Sommet extraordinaire des Chefs d'État et de Gouvernement de la Cedeao prévu sur la situation politique au Niger, le jeudi 10 août 2023, à Abuja, au Nigeria.
Si les putschistes n'ont pour le moment montré aucune volonté de céder la place, de nombreuses voix s'élèvent contre une intervention militaire armée.
Mise en garde de l’Algérie
La veille de l’expiration dimanche 6 août, de l’ultimatum lancé par la Cedeao aux putschistes nigériens, l’Algérie a mis en garde contre une intervention militaire au Niger pour réinstaller dans ses fonctions le président élu Mohamed Bazoum. « Nous rejetons totalement et catégoriquement toute intervention militaire au Niger », a déclaré le président Abdelmadjid Tebboune dans un entretien accordé à des médias algériens qui a été diffusé samedi 5 août sur la Télévision algérienne (ENTV). En effet, avec le Niger, l’Algérie partage une longue frontière.
Une intervention militaire de la Cedeao porte des risques de guerre et d’instabilité au Niger. Elle pourrait embraser toute la région du Sahel, déjà en proie à l’instabilité, aux activités terroristes et à une grave crise économique. Le président Tebboune en veut pour preuves, l’exemple des pays qui ont connu des interventions étrangères. « Regardez la situation des pays où il y a eu des interventions étrangères. Leurs problèmes sont toujours posés », fait-il remarquer, citant les exemples de la Syrie et de surtout de la Libye en proie à l’instabilité et aux guerres depuis le renversement du régime de Mouammar Kadhafi, tué en 2011, suite à l’intervention militaire française et de l’Otan.
« L’intervention militaire ne règle aucun problème… La situation s’est aggravée après la décision du Niger et du Mali d’entrer dans la bataille », a prévenu Abdelmadjid Tebboune qui soutient que la situation au Niger après le coup d’État du 26 juillet dernier constitue une menace directe pour l’Algérie. Cette menace va s’aggraver en cas d’intervention étrangère qui risque d’embraser le Sahel. D’autant plus que les juntes au pouvoir au Mali et le Burkina Faso manifestent leur soutien aux militaires à Niamey.
« Une intervention militaire pour rétablir le président Bazoum s'assimilerait à une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali ».
Dans un communiqué conjoint, Bamako et Ouagadougou apportent leur soutien au coup d'État au Niger et affirment qu'une intervention militaire pour rétablir le président reversé « s'assimilerait à une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali ».
Le président algérien explique que la crise peut se résoudre par « la logique » et indique qu’aucune « solution n’est viable sans l’Algérie qui est la « première concernée » par cette crise. En cas d’aggravation de la situation au Niger, l’Algérie entourée de foyers de tensions risque un afflux massif de migrants subsahariens. Des centaines de migrants entrent chaque semaine dans ce pays via ses longues frontières sud (Niger).
La deuxième menace qui pèse sur l’Algérie si le Niger est livré au chaos est la prolifération des groupes terroristes, comme ce fut le cas après l’intervention étrangère en Libye. Présents au Sahel, les groupes terroristes vont saisir l’occasion d’une guerre pour se renforcer. Le troisième risque de l’utilisation de la force au Niger sur l’Algérie est l’installation durable de troupes étrangères aux frontières sud du pays. L’Algérie s’est toujours montrée hostile à une présence militaire étrangère à ses frontières en raison des risques qu’elle comporte pour sa sécurité.
Véto du Senat nigérian
Le Sénat nigérian réuni samedi après-midi, à huis clos pour discuter de la situation au Niger, a invité le président Asiwaju Bola Ahmed Adekunle Tinubu, à « encourager les autres dirigeants de la Cedeao à renforcer l’option politique et diplomatique », d’après une déclaration du président du Sénat Godswill Akpabio. Plusieurs médias nigérians affirment qu’au cours de cette réunion, la majorité des sénateurs ont exprimé leur opposition à une intervention militaire. Vendredi, les sénateurs des régions du nord du Nigeria avaient déjà mis en garde Abuja et la Cedeao contre « un recours à la force militaire sans avoir épuisé toutes les voies diplomatiques ». En cas d’intervention, même le Nigeria, dont sept États au Nord partagent une frontière de 1.500 km avec le Niger, serait « affecté négativement », ont-ils prévenu.
Les sénateurs disaient également s’inquiéter de voir une intervention au Niger déstabiliser davantage ces régions et ouvrir un nouveau couloir d’insécurité avec les voisins du Niger. Ces inquiétudes sont également partagées par la plus importante coalition des partis d’opposition du Nigeria, pour qui une intervention serait « non seulement inutile » mais « irresponsable », a ainsi jugé le Coalition of United Political Parties samedi.
Selon la Constitution du Nigeria, les forces de sécurité ne peuvent être déployées pour combattre dans un pays étranger sans l’aval préalable du Sénat. Le président peut cependant s’en passer dans le cas d’un « risque imminent ou danger » pour la sécurité nationale. Il a alors sept jours, après le début des combats, pour demander son autorisation.
La vie de Bazoum et de sa famille en danger
« L’intervention des troupes des pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) au Niger pour réprimer la rébellion mettra en péril la vie du président nigérien destitué Mohamed Bazoum. C’est ce qu’a déclaré le conseiller présidentiel nigérien Antinekar Al-Hassan, interrogé par la chaîne de télévision Sky News Arabia. Il a souligné qu’en cas d’une intervention militaire, cette dernière mettra en danger la vie de M. Bazoum et de sa famille. Selon M. Al-Hassan, le président pourrait être blessé « soit par l’erreur des attaquants, soit par les militaires qui se sont opposés à lui ». M. Bazoum se trouve dans sa résidence depuis le jour où le coup d’État au Niger, a rappelé le conseiller.
Assurément, une intervention militaire de la Cedeao au Niger va s’apparenter à du deux poids deux mesures car l’institution sous régionale ouest africaine n’a pas choisi cette option ni au Mali, ni en Guinée, encore moins au Burkina Faso, des pays dirigés par des juntes militaires. Pourquoi subitement, la Cedeao décide-t-elle d’en découdre militairement avec les nouvelles autorités du Niger alors que toutes les voies de discussions au plan diplomatique ne sont pas encore épuisées ?
Cet empressement à vouloir rétablir l’ordre démocratique au Niger alimente le moulin de ceux qui pensent que c’est pour répondre aux recommandations de la France qui a évacué ses ressortissants de Niamey mais maintient ses troupes dans le pays pour protéger ses intérêts économiques et ceux des pays européens. Une stratégie pour l’Union européenne de s’imposer afin d’empêcher le Niger de se tourner vers d’autres partenaires. La ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna, a même mis en garde les putschistes au Niger. « Ils feraient bien de prendre la menace d'intervention militaire par une force régionale très au sérieux », a-t-elle lâché sur France Info samedi 5 août, précisant que le départ des soldats français déjà présents au Niger n’est pas « à l’ordre du jour », malgré les demandes des putschistes.
« Les forces françaises présentes au Niger » le sont « à la demande des autorités légitimes du pays, sur la base d'accords signés avec les autorités légitimes de ce pays pour aider à la lutte contre le terrorisme », a affirmé la diplomate qui précise que, depuis le putsch, la France a seulement « suspendu sa coopération militaire et sa coopération civile » avec le Niger. Un véritable paradoxe quand on sait que la junte militaire au pouvoir au Niger a annoncé la rupture des accords de coopération militaire avec Paris, huit jours après le coup d'Etat.
Présence des forces occidentales
Après le Mali et le Burkina Faso, le putsch nigérien invite à s’interroger sur le succès des coopérations militaires françaises dans la lutte contre les groupes terroristes au Sahel. En effet, le terrorisme dans le Sahel est apparu après la destruction de la Libye par la France et ses alliés de l'Otan. Toutes les opérations française et occidentale (Barkhane etc.) n'ont pas réussi à régler le problème de terrorisme, prétexte pour l'Occident pour contrôler les Etats africains à travers leur présence militaire dans plusieurs pays du continent.
Le président Bazoum était un des derniers alliés de Paris dans la région. Favorable au repli des troupes de « Barkhane » du Mali vers le territoire du Niger, il avait également accepté d’accueillir les hommes de la force « Sabre », chassés du Burkina. L'ancien colonisateur du Niger maintient jusqu'à 1 500 soldats dans le pays. Il s'est tourné vers le Niger pour y baser l'essentiel de ses forces après les coups d'État au Mali et au Burkina Faso. Le ministère français des Affaires étrangères a déclaré que le président Mohamed Bazoum était le seul dirigeant du Niger et qu'il ne reconnaissait pas les nouveaux putschistes.
Les États-Unis ont environ 1 000 soldats au Niger et y maintiennent des forces depuis 2013 pour soutenir les efforts de lutte contre le terrorisme. Ils disposent d'une base aérienne à l'extérieur de la ville d'Agadez, où ils mènent des opérations de drones. L'Allemagne possède une école de défense à Niamey, la capitale du Niger.
Soutien des populations à la junte à Niamey
Les putschistes de Niamey ont de leur côté promis cette semaine une « riposte immédiate » à « toute agression ». Ils bénéficient de nombreux soutiens au sein de la population. Le syndicat des étudiants leur manifesté son soutien. Tout comme les syndicats des enseignants et des universitaires aussi. Des piquets de veille patriotiques sont mis en place sur de nombreux ronds-points stratégiques de la ville afin de détecter les mouvements suspects face à la menace d’intervention militaire de la Cedeao qui fait en effet craindre une dégradation de la situation sécuritaire dans le pays, mais aussi dans la région du Sahel, déjà instable et en proie aux mouvements djihadistes. Face à la menace des pays occidentaux de couper toutes leurs aides militaires, économiques et financières, le risque d’une dégradation de la situation sécuritaire, et même humanitaire, profitera aux djihadistes.
Dans cette atmosphère d’incertitudes, où se situe l’Union Africaine et ses 55 États membres face ? Un conflit armé plongerait la zone dans une guerre régionale sanglante où il n’y aura aucun gagnant. Les grands perdants seront les peuples africains qui y vivent. Seule une solution diplomatique devrait permettre d’espérer une sortie de crise. Elle doit être africaine, sans l’intervention d’une quelconque partie occidentale. Sous la domination de ces pays qui exploitent ses richesses naturelles depuis longtemps sous le prétexte de la promotion de la démocratie, des Droits de l’Homme et des libertés, l’Afrique et ses institutions doivent se mobiliser et réaffirmer leur autorité afin de résoudre la crise au Niger, sans effusion de sang.
Source : Linter