Dr Kouassi Kouadio nous a fait connaître ce que c'est que la fistule obstétricale
Dr Kouassi Kouadio est chirurgien et point focal de la fistule obstétricale de Bondoukou. Nous l’avons rencontré il y a quelques semaines, à l'hôpital général de Bouna, dans le cadre d’une mission de terrain initiée par le Réseau des femmes journalistes et des professionnelles de la communication de Côte d’Ivoire (Refjpci), avec le soutien financier du Fonds des Nations unies pour la population (Unfpa). Le professionnel de la santé nous a permis de mieux connaître cette maladie qui fait des ravages dans plusieurs régions de la Côte d’Ivoire.
Qu’est-ce que la fistule obstétricale ?
Une fistule est une communication anormale entre deux organes. Il existe plusieurs types de fistules. La fistule vésico-vaginale est un conduit anormal qui se crée après un accouchement difficile entre la vessie et le vagin. On peut avoir aussi une fistule entre la vessie et l’urètre. C'est une fistule vésico-rectale. L’on retrouve aussi une fistule entre la vessie et l’uretère, appelé la fistule vésico-urétérale. Un autre type de fistule, c'est la fistule recto-vaginale. En somme, les fistules ce sont des organes au voisinage de la vessie qui sont concernés.
Donc, c'est tout l'ensemble qui constitue la fistule obstétricale ?
Oui, et elle survient surtout à la suite d'un accouchement difficile.
Comment appelle-t-on l'examen qui permet de la détecter ?
Il n’y a pas d’examen en tant que tel. C’est lors des interrogatoires que les femmes nous avouent qu’elles perdent leurs urines. Dans le cas d’une fistule obstétricale, vous êtes assise et les urines coulent sur vous. C’est comme cela que nous posons le diagnostic.
C’est ce qu’on appelle aussi l’incontinence urinaire ?
Non, c’est différent; il y a une nuance. Dans le cas de la fistule, la femme accouche et plusieurs semaines après, elle sent que ses urines coulent sur elle. Ou bien vous voyez la patiente marcher et les urines coulent sur elle. C’est ce qu’on appelle fistule. C’est une fistule urinaire permanente. On ne peut pas la contrôler.
Quelles sont les causes des fistules ?
Dans la majorité des cas, le constat se fait après un accouchement prolongé sans assistance. La pression constante de la tête du bébé sur l'os pelvien de la mère endommage les tissus mous, créant un trou ou fistule entre le vagin et les différentes cavités. Mais nous constatons aussi que ce sont les femmes excisées qui sont les plus touchées.
Lorsque vous constatez qu’une femme est porteuse d’une fistule, que réparez-vous exactement ?
C’est dans la définition. Je vous ai dit que c’est une formation anormale entre la vessie et le vagin, entre la vessie et l’urètre, entre la vessie et le rectum. Donc, il faut fermer ce trou anormal. C’est ce trou qu’on répare. Quand vous le fermez, c’est la fistule qui est réparée.
Et ce genre d’opération, est-ce une opération lourde ou légère ?
C’est une chirurgie lourde. Quand on parle de fistule vésico-rectale, il y a beaucoup d’éléments qui interviennent. Nous faisons la réimplantation urétérale. Dans les autres cas, cela dépend de la situation de la fistule. Elle peut être petite et axiale. Quand on l’expose, on n’a pas de problème à la réparer. Par contre, quand elle est sous l’utérus, l’accès devient plus difficile.
Et ça peut prendre combien de temps ?
En général, l’opération d’une fistule obstétricale peut prendre 30 minutes, avec la préparation. Mais on peut opérer une fistule pendant une heure, deux heures voire trois heures et demie. Cela dépend de la complexité de la fistule. Il peut y avoir une fistule à la fois vésico-vaginale et recto-vaginale. C'est-à-dire des saignements. Donc c'est compliqué. Il faut fermer le trou. Si le trou est très large, c'est une fistule très complexe. Souvent, nous opérons, mais ça échoue. Il faut donc prendre beaucoup de précautions et de dispositions.
Qu'est-ce qui provoque ces récidives ?
La récidive est créée par le temps d’intervention, la durée de la fistule et puis au niveau de l'organe lui-même. Lorsque le vagin n'est plus souple et qu’il faut faire des points de suture, ça lâche. C'est un élément très important.
Alors, qu'est-ce qui crée la rigidité du vagin ?
Les urines qui coulent en permanence. Au niveau vaginal, ça entraîne une fibrose. Quand on appelle fibrose, je dirais que c'est dur comme un caillou qui obstrue la cavité vaginale. Or, pour pouvoir faire un travail correct, il faut exposer, il faut avoir les limites de la fistule pour pouvoir opérer.
Une fois que la patiente est opérée, est-ce qu'il y a des pratiques qui pourraient créer la récidive ?
Les pratiques, d'abord, lorsque l'on a fini d'opérer une fistule, en moyenne, il faut attendre six mois avant d'avoir des rapports sexuels et de concevoir à nouveau.
Est-ce que vous pouvez donner des chiffres des opérations que vous avez effectuées en tant que point focal fistule à Bondoukou ?
Il est difficile de donner un chiffre exact.
En moyenne ?
Plus de deux cents. Le projet a commencé en 2005. Moi, je suis rentré dans le projet depuis 2009. Et on faisait ce qu’on appelait les caravanes fistules. C'est-à-dire que nous nous déplacions, comme aujourd'hui, pour renforcer l'équipe de Bouna et opérer les fistules.
En moyenne, combien de femmes opérez-vous par jour ?
Depuis lundi, nous avons examiné environ 23 patientes. Sur les 23, cinq ne sont pas des cas de fistule. Une communication a été diffusée demandant aux femmes qui perdent des urines de venir se faire consulter. Cependant, elles n'ont pas compris le message et sont venues pour des douleurs au ventre, des masses, etc. Nous avons donc cinq femmes souffrant d'autres pathologies qui ne sont pas des fistules. Elles ne sont donc pas éligibles pour une opération de fistule. Nous avons également eu trois cas de fistules très complexes…
Quand le cas dépasse vos compétences, que faites-vous ?
Nous adressons la patiente au Chu. Dans la pyramide sanitaire, c'est le service d’urologie du Chu qui est le dernier recours pour pouvoir réparer la fistule. Et je vous dis aussi que c’est un élément important. La réparation de la fistule ne se fait pas qu'une seule fois, on peut opérer 3, 4 voire 5 fois.
Quel appel pouvez-vous lancer à la population, aux personnels médicaux et à l'État de Côte d'Ivoire ?
D'abord, il faut faire beaucoup de sensibilisation. Auparavant, on disait que c'est une maladie honteuse. Les femmes n'aimaient pas venir consulter parce qu'elles se disent qu'elles ne sont plus dans la société. Donc, elles ont généralement honte de venir à l'hôpital et de se faire détecter parce qu'on les accuse d’être des sorcières dans leurs communautés. Donc, l'appel que je voulais lancer, c'est qu'on sensibilise tout le monde, personnels médicaux et autorités. Aux populations, il faut faire comprendre que c'est une maladie mais que les solutions sont en vue. Et donc, de fréquenter les centres de santé pour pouvoir les diagnostiquer et les prendre en charge.
Réalisée par Solange ARALAMON