Laurent Gbagbo : la culture de l’amusaille et la responsabilité en politique





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La fin de la semaine qui vient de s’écouler, a été marquée par une fête populaire organisée à Lakota par le parti de l’ancien président, Laurent Gbagbo, pour célébrer la victoire de l’une des deux mairies remportées par ce parti sur les 201 communes, au terme des élections locales de septembre 2023. Au cours de cette fête, l’ancien chef d’État a tenu des propos dignes des gargotes mal famées des bas quartiers. L’on sait tous que la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) a changé de dénomination pour apporter des améliorations substantielles dans la gouvernance de cet établissement pénitentiaire et les conditions de détention des prisonniers.  Suite à cette décision, certains internautes, pour ironiser, ont comparé le sigle du Pôle pénitentiaire d’Abidjan (PPA) à celui du PPA-CI de Laurent Gbagbo. Mais jusque-là, la comparaison du PPA au PPA-CI, se limitait aux plaisanteries sur les réseaux sociaux. Mais samedi dernier, Laurent Gbagbo, président du PPA-CI et ancien président de la République, a repris à son compte, ces plaisanteries des réseaux sociaux et en a fait l’axe principal de son discours devant ses partisans. « La MACA, ils ont nommé ça maintenant le PPA : Pôle Pénitentiaire d'Abidjan. Ça veut dire que c'est nous qui allons remplir ça. Quand même ! Moi, j'aime beaucoup l'humour, mais quand l'humour est noir comme ça, c'est trop triste ». La question que l’on peut se poser de prime abord, est la suivante : Quelle est l’opportunité et la portée d’un tel discours ?  Sur la question, l’on peut aisément répondre que Laurent a fait du Gbagbo, c’est-à-dire, qu’il est descendu dans la gadoue sous le prisme du populisme pour s’attirer la sympathie des masses. Et c’est justement à ce niveau que se pose le problème. Quand on a occupé la fonction la plus illustre qui puisse exister dans un pays et quand on dirige un parti politique, on doit pouvoir faire le distinguo entre les amusements, les plaisanteries de la vulgate populiste et les questions sérieuses. Est-il sérieux et politiquement correct de soutenir que la MACA a changé de nom pour y envoyer les militants du PPA-CI ? C’est assez grossier et grotesque comme affirmation, surtout quand cela émane d’un ancien président de la République. D’aucuns pourraient s’interroger si un ancien chef d’État ou même en fonction n’aurait pas le droit de parler comme le citoyen lambda. Soit. Dans la hiérarchie des classes sociales, la vulgarité et le populisme permettent d’avoir un ancrage dans le bas peuple. A contrario, l’utilisation d’un langage châtié et excentrique peut coûter le soutien des masses populaires. En Côte d’Ivoire, certains analystes estiment que l’élitisme dans le discours a été, en partie, à la base de l’échec de la carrière politique du Pr Francis Vangah Wodié. Est-ce pour autant qu’un acteur politique doit utiliser le langage de la plèbe et les ramassis sans aucun fondement des réseaux sociaux dans un discours officiel ?

 

Quand on a occupé la fonction la plus illustre qui puisse exister dans un pays et quand on dirige un parti politique, on doit pouvoir faire le distinguo entre les amusements, les plaisanteries de la vulgate populiste et les questions sérieuses.

 

De prime abord, l’on pourrait dire qu’un chef d’État n’est pas un atome isolé dans la société. De ce fait, il peut, de temps à autre, utiliser le langage populaire pour passer certains messages. L’ancien président Henri Konan Bédié en a fait un usage qui est resté dans tous les esprits, avec son ‘‘nouchi’’ dans la campagne pour l’élection présidentielle de 2010 en Côte d’Ivoire. Aux États-Unis, l’ancien président Donald Trump est parvenu à avoir l’onction des républicains à travers un discours raciste et misogyne, parfois, dans une vulgarité déconcertante.  Mais sur cette question précise, Laurent Gbagbo qui s’amuse avec tout, est passé totalement à côté de la plaque, ce week-end à Lakota. À l’ère de l’instantanéité de la télévision et surtout d’Internet, de l’omniprésence des caméras, un homme de la trempe de Laurent Gbagbo, par respect pour la fonction qu’il a occupée dans le pays, devrait pouvoir canaliser son verbe. Mais hélas et mille fois hélas ! Ce qui s’est passé ce week-end à Lakota, révèle la vraie nature de l’homme Laurent Gbagbo. Chez le président du PPA-CI, le vulgaire et la grossièreté dans le langage constituent les mêmes facettes d’une même médaille. Et comme le soulignent certains spécialistes des sciences du langage, l’utilisation du discours vulgaire est symptomatique d’un comportement aussi vulgaire du locuteur qui ne parvient plus à faire la différence entre ce qu’il dit et ce qu’il est. Ainsi donc, pendant les dix années qu’il a passées au pouvoir, Laurent Gbagbo a cassé les codes de l’élégance et de la sobriété dans le discours politique. A titre d’exemples, en août 2009, Laurent Gbagbo avait mobilisé la télévision nationale pour l’accueillir à son retour du Maroc, où il est allé se faire soigner une dent. Le large sourire qu’il avait arboré dans un plan très rapproché des caméras, est resté dans la mémoire collective. Toujours en 2009, au cours d’un meeting à Gagnoa, précisément au quartier Dioulabougou, il a lâché une phrase qui a choqué plus d’un : « quand j’étais petit, je volais souvent pour manger ». Au niveau familial, l’ancien président avait choqué plus d’un, quand il a posé cette question au cours d’une rencontre publique : « Qui n’a pas de deuxième bureau dans ce pays ? Qui ? ». Au-delà des questions portant sur sa vie privée, Laurent Gbagbo a lancé bien de boutades qui continuent d’être exploitées par les humoristes. On peut citer entre autres, son indifférence révoltante face au pillage des dirigeants de la filière café-cacao et sa réaction suite à la qualification des Éléphants au mondial de 2006 en Allemagne. Même après la case prison, Laurent Gbagbo est resté égal à lui-même. Nombreux sont ses partisans qui continuent de s’interroger sur l’opportunité de l’interprétation de la chanson « Ma copine est pkata » de l’artiste S-Kelly, lors du congrès constitutif du PPA-CI en octobre 2021. Au regard de tous ces faits, l’on peut dire que Laurent Gbagbo a la culture de l’amusaille dans son ADN. En 2017, Tiburce Koffi, alors en rupture de ban avec le régime Ouattara, avait tenu des propos qui résument tout ce qui vient d’être dit. « Je ne suis pas un suiviste, et jamais, je ne renoncerai à ma liberté d'intellectuel pour un poste et pour de l'argent. Mais J'affirme haut et fort que le régime de Ouattara a plus apporté à la Côte d'Ivoire que celui de Gbagbo. Le Président Ouattara est un bosseur. Ce n'est pas un idéologue. Il est évident qu'il ne dégage pas la chaleur humaine de Laurent Gbagbo ; mais il n'a pas non plus les tares de ce dernier : la culture de l'amusaille, du propos vulgaire, du rire banania, des jouissances paresseuses et irresponsables. Ouattara ne rit pas, ne danse pas, ne s'amuse pas. Il travaille. C'est un chef d'État qui s'est donné une mission et qui s'applique à l'accomplir en s'en donnant les moyens. Et... oui, j'ai de l'admiration pour un tel chef. Essayer un peu de vous attaquer à lui. Et vous allez apprendre à vos dépens ce que signifie être un chef d'État ». Voilà qui est clair. Le populisme est certes, son registre, mais Laurent Gbagbo doit savoir qu’après tout ce que le pays a vécu, on ne doit plus jouer et/ou plaisanter avec tout.

 

Kra Bernard

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