La démolition de l'école privée Cha Hélène de Gesco en pleine année a choqué l'opinion
Les populations de GESCO, dans la commune de Yopougon, se sont réveillées le 20 février 2024, sous les bruits des Caterpillars et autres engins de démolition. Sur ordre du district d’Abidjan, ce sous-quartier était en train d’être rasé. En plus des domiciles, une école privée qui accueille également des affectés de l’État, a été détruite. 1 800 élèves se sont retrouvés sans établissement. Le décor était apocalyptique. Gravats, tables-bancs, effets personnels éparpillés, etc., ont enseveli, en l’espace de quelques heures, l’histoire d’un quartier, de vies de plusieurs dizaines d’années. Des familles entières se sont retrouvées du jour au lendemain sans abris, disloquées. D’autres qui ne savent pas où aller, dorment à la belle étoile ou dans des abris de fortune.
Au moment où la communauté nationale et internationale était encore sous l’effet de l’émotion, l’on apprend, quelques jours plus tard, soit le 22 février 2024, que le sous-quartier de Boribana, dans la commune d’Attécoubé, subit le même sort. Cette folie destructrice n’épargnera pas des mosquées. La démolition a eu lieu un vendredi, jour de Jum’ah (grande prière du vendredi). Sous les yeux hagards des croyants musulmans.
Depuis ces deux dates devenues tristement célèbres, des listes (vraies ou fausses) circulent, désignant tous les lieux qui devraient subir le même sort que Gesco et Boribana. Du coup, dans le Grand Abidjan, des personnes concernées ou non, sont inquiètes devant ces destructions qui ne craignent ni Dieu ni l’homme en même temps qu'elles ne respectent aucun texte de loi. C’est la psychose. D’Abobo-Sagbé, Biabou, Anonkoua-Kouté à Yopougon Koweït, Cité verte extension en passant par Port-Bouët Anani, Casier, etc., plus personne n’est serein.
À Gonzagueville Terre-Rouge, des parents d’élèves ont clairement exprimé leur inquiétude aux responsables du groupe scolaire Mallet. « On entend dire un peu partout qu’il y aura des démolitions. La rumeur dit que tout Gonzagueville est concerné. Pour nous qui avons soldé la scolarité, si l’école est détruite, y aura-t-il des remboursements ? », interrogeait une parente d’élève. Bien entendu, dans sa question, planait le spectre du groupe scolaire Cha Hélène de Gesco, détruit en pleine année scolaire alors que le bâtiment n'est pas construit sur une emprise publique et que son fondateur dit détenir les papiers nécessaires pour en être propriétaire.
Attention à l’augmentation des loyers
À tort ou à raison, de nombreuses personnes craignent d’être réveillées dans leur sommeil par des bruits de Caterpillar. Propriétaires de maisons détenteurs de titres fonciers et locataires prient Dieu pour ne pas se retrouver dans l’œil du cyclone.
S’il y a une chose qu’il faut retenir dans cette affaire, c’est que personne ne veut être surpris. Alors chacun veut anticiper, prendre ses dispositions pour ne pas être surpris. L’une des solutions explorées, c’est le déménagement. Se fiant à la liste qui circulent sur les réseaux sociaux, certains, qui se sentent menacés, veulent quitter là où ils logent actuellement pour aller dans des zones dites sécurisées. C’est la cas de Michel-Ange K., chauffeur dans une société de distribution, qui nous a confié qu’il est en quête d’un logement, pour quitter le sous-quartier Casier de Port-Bouët.
Adéwalé X. lui, se dit malchanceux. Il nous explique ce qu’il appelle sa mésaventure. « Je vivais à Anani. Dès les premiers déguerpissements et toutes les rumeurs qui ont suivi, ayant un peu de liquidité sur moi, je me suis mis en quête d’un autre logement. J’ai effectivement trouvé une maison à Gonzagueville Terre-rouge, juste derrière le lycée. Là aussi, on m’informe que le quartier sera rasé. Pourtant, j’y ai déjà aménagé », nous raconte-t-il tout abattu.
Comme Adéwalé, il y a de nombreuses personnes qui envisagent de quitter les quartiers dits à risque pour se reloger dans des zones dites sécurisées. Du coup, la demande en logement devient de plus en plus forte alors que l’offre est réduite. Ne soyons donc pas étonnés de voir les coûts des loyers flamber.
Autre commune mêmes inquiétudes. Abobo. Même dans les quartiers qui ne sont pas ou n’ont jamais été classés à risques, on a peur. « Mon cher, avec ces gars-là, on ne sait jamais. On nous dit qu’on n’est pas concernés, mais qui sait ce qui se passera demain ? », s’est interrogée une habitante du sous-quartier BC.
Quand le spirituel s’en mêle
Devant cet affront fait à l’homme mais surtout à Dieu, chacun s’en remet à l’être suprême en qui il croit. À l’exemple de cette église évangélique qui, dès les premières destructions, a demandé à tous ses fidèles de tous les temples, de prier pour les déguerpis, afin que Dieu les soutiennent dans cette épreuve difficile. Surtout, qu'ils prient pour que le Tout-Puissant touche le cœur des autorités en charge des déguerpissements afin qu’il donne à cette opération un visage humain.
Comme cette église, un imam, nous rapporte un musulman résidant à Abobo, a consacré tout un sermon aux démolitions de maisons, commerces et écoles. Selon notre source, cet homme de Dieu ne s’est pas montré tendre avec les initiateurs de cette opération. Avant de demander à Allah de pardonner à ces derniers pour tout le mal qu’ils font aux gens et qu’il touche leurs cœurs de sorte qu’ils privilégient les intérêts des populations.
On se souvient encore de la sortie musclée, le 26 février 2024, du charismatique prêtre catholique, l’Abbé Norbert Abekan, à l’annonce de la destruction de son village Anono : « Avant que vous ne trouviez votre recherché confort, vous passerez avec vos machines d’enfer sur mon corps. Je ne laisserai point voler l’héritage de mes ancêtres, je ne laisserai point raser, la terre de mes souvenirs d’enfance, la terre où reposent en paix mes ancêtres ». Deux jours après, le ministre-gouverneur Ibrahim Cissé Bacongo, avait dû se déplacer pour aller rassurer l’homme de Dieu.
Les mesures du gouvernement ne rassurent pas
En conseil des ministres tenu mercredi 13 mars 2024, le gouvernement a annoncé des mesures d’accompagnement des populations déguerpies dans les quartiers de Boribana (Attécoubé) et de Yopougon-Gesco. Il s’git d’un soutien au relogement d’un montant de 250.000 Fcfa par ménage (soit une enveloppe globale de 697 millions de Fcfa).
Le gouvernement a également décidé d’accompagner les propriétaires ayant des titres fonciers en vue de l’acquisition de parcelles en pleine propriété. Il sera mis à leur disposition un terrain de 75 m2 ou de 100 m2 selon la taille de chaque famille avec la signature d’un bail emphytéotique sur une durée de 20 à 25 ans pour un loyer de 10.000 Fcfa par mois. Au terme de cette période, les terrains leur reviendront en pleine propriété.
Des mesures qui, en principe, devraient rassurer. Mais, les personnes interrogées disent être encore plus inquiètes. « Quand je regarde ces mesures, je suis encore plus effrayé. 250 000 FCFA peut payer la caution de quelle maison à Abidjan ? », s’interroge Luc E., du quartier Belleville à Abobo. Le propriétaire de la maison qu’il habite, Moussa D., nous confie que sa cour de 10 portes a aujourd’hui une valeur d’au moins 25 millions FCFA : « On viendra donc casser ma maison pour ensuite me donner un terrain de 75 mètres carrés ou 100 mètres carrés que je vais payer sur 20 à 25 ans. On va me remettre un million pour y bâtir qu’elle genre de maison ? Des baraques qu’on viendra encore démolir ? Soyons sérieux ! ».
Comme on peut le voir, le début de l’opération de déguerpissement, mais surtout la manière de la mener a traumatisé plus d’un. Même si, selon le gouvernement, cette opération vise à préserver des vies, sa mise en œuvre a fortement contribué à créer la psychose au sein de la population.
Il faut le reconnaître, depuis le début des démolitions, nombreuses sont les personnes qui ne sont plus sereines. Chacun cherche à se mettre à l’abri des déguerpissements. Aussi bien les locataires que les bailleurs. Mais, sur le terrain, les choses ne sont pas faciles. Et l’inquiétude grandit de jour en jour, fpour devenir une vraie psychose. Au point où, les mesures de dédommagement ou de soulagement ne rassurent nullement.
Ne serait-il pas mieux d'ouvrir des pourparlers francs avec les populations impactées ou qui seront touchées afin d’arriver à un consensus avant la poursuite de l’opération ?
Modeste KONÉ