Au commencement étaient des propos. Et ils se sont faits chair dans la bouche d’Ibrahim Cissé Bacongo, secrétaire exécutif du Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le 11 avril 2024 à Abidjan-Cocody, lors de la célébration de la prise du pouvoir par Alassane Ouattara, président du RHDP. Parlant de Laurent Gbagbo et de son nouveau parti politique, le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), Bacongo n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Lisons-le.
« (…) Ils ne savent rien du tout…Quand je l’écoute, c’est de la pitié que j’éprouve pour lui. Ce monsieur (Ndlr : Gbagbo) a été. Il veut continuer d’être alors qu’il ne peut plus être ». Dans des propos rapportés par la presse, l’ancien maire de Koumassi a dit encore d’autres méchancetés à l’endroit de Laurent Gbagbo sous les ovations de ses collègues membres de la direction et des militants.
Quelques jours plus tard, Justin Koné Katinan, porte-parole du parti de Laurent Gbagbo, va chercher dans le champ lexical de la bergerie pour répondre à Bacongo lors d'une conférence publique. Lisons-le aussi : « (…) Quand quelqu’un se décide de lui-même de quitter la nature humaine pour se donner une autre nature, moi, je ne sais pas…Comment on répond à un langage des bêlements ? Comme on ne connaît pas le langage des moutons, on ne va pas lui répondre… ». Lui aussi a été acclamé par les membres de son parti et les militants présents dans la salle.
Jeudi 25 avril 2024, lors d’une conférence de presse qu’il tient à Cocody, Bacongo en rajoute une couche. Sa cible préférée, Laurent Gbagbo, est particulièrement visée comme pour dire, pas de pitié en politique. « La présence de Laurent Gbagbo à la tête de notre pays a été la pire erreur de l’histoire de notre jeune Côte d’Ivoire. Sa gestion a été émaillée de charniers, de tueries massives, de disparitions forcées, de dégradation massive du tissu socioéconomique et de dépravation des mœurs. Aucun investissement sérieux. Sa gestion a surtout été marquée par son incapacité à assurer la sécurité des Ivoiriennes et des Ivoiriens qui a atteint son point culminant avec une rébellion ».
Assuré d’avoir « achevé » le patron de Katinan, le secrétaire exécutif du RHDP peut maintenant regarder du côté du conférencier du PPA-CI. « Je préfère être un mouton derrière un bon berger comme Alassane Ouattara, qui me conduit dans le bon pâturage que d’être un chien de garde agité dans tous les sens ». Avec une passe d’armes aussi lourdes les unes que les autres, où aucune tolérance ne semble permise, c’est le ton de la campagne électorale de 2025 qui est ainsi donné. Que toutes celles et tous ceux qui ont choisi de voir, d’écouter et de ne rien dire ne viennent pas pleurer demain quand on aura atteint le sommet de la bêtise. Parce que chez nombre de politiciens, on ne fume pas que la cigarette.
S’il n’y a pas d’intervention publique ou discrète pour ramener les belligérants sur la voie de la sagesse, ce conflit ouvert pourrait perdurer d’autant que ce qui est en jeu, que ce soit de l’un ou de l’autre côté, c’est la succession du leader. Celui-ci ayant atteint l’âge de la retraite, la bataille est engagée dans les différents camps pour le dauphinat. En clair, c’est la réponse à la question de savoir qui sera le présomptif héritier du trône que laisseront Ouattara et Gbagbo qui nous est offerte, comme ça, sur un plateau de guerre.
Et comme dans ce genre d’arène, c’est au meilleur gladiateur que le trône revient le plus normalement du monde, chacun y va de son intelligence, de sa force, de son incohérence mais aussi et surtout de sa fidélité à être derrière le chef. Or, qui mieux que les moutons et les chiens fait preuve d’une grande fidélité à être derrière ? On comprend dès lors la convocation de ces deux noms d’animaux par les deux belligérants dans leurs échanges houleux.
Ne nous y trompons pas donc ! Ces deux messieurs qui sont en train de faire le lit d’interminables bagarres entre leurs camps ne le font pas forcément pour leurs partis politiques ou pour leurs leaders comme cela pourrait ressortir de leurs propos. Ils le font pour eux-mêmes. Ils cherchent à ravir la première place derrière le chef à leurs camarades afin que le moment venu, la multitude puisse se souvenir, sans tarder, de leurs hauts faits d’arme.
Même si la passation de témoin devrait se faire sur nos têtes ensevelies.
Abdoulaye Villard Sanogo