Parmi les déguerpis d'Abidjan, il y a de nombreux artisans qui appellent au secours
La vague de déguerpissement continue à Abidjan. Les plus touchées sont les couches sociales les plus vulnérables. Parmi elles, le secteur informel. Ceux qu’on classe parmi les artisans n’échappent pas aux démolitions. Les ateliers de couture, les salons de coiffure, les garages auto, les ateliers de menuiserie… sont détruits. Certains, installés depuis 10, 15, 20 voire 30 ans et plus ne savent plus où donner de la tête. Partout où nous sommes passés, c’est la désolation totale.
Bouakary T. est couturier à Yopougon Gesco depuis plus de 20 ans. C’est de son activité qu’il tire tout son revenu pour faire face aux charges familiales. Ses deux épouses et sa quinzaine d’enfants n’ont que ça pour vivre. Mais, un matin de février 2024, tout cet espoir s’est enfoui sous les gravats laissés par les bulldozers et autres caterpillars. Dans les décombres, Bouakary tente de récupérer ce qui peut l’être. C’est difficile. Car ce père de famille n’a même pas eu le temps de mettre à l’abri ses trois machines à coudre ni même les commandes de sa clientèle. Aujourd’hui, le visage perdu vers un espoir incertain, notre couturier peine à s’exprimer : « depuis ce jour où j’ai tout perdu, je vis de mes économies. Mais je sais que ça ne va plus durer. À mon âge, il me sera difficile de refaire un autre atelier ».
Comme lui, de nombreux artisans pleurent sans solutions pour se réinstaller. Le jeune Yéo qui nous confie avoir créer son garage après 10 années d’apprentissage, cherche aujourd’hui à se reconvertir dans une autre activité. « Je ne sais plus où trouver de l’argent pour un autre garage. De patron, je ne peux me permettre de redevenir un apprenti. Ici au carrefour zoo, tout le monde me connaissait. Les chauffeurs de Gbakas, de Wôrô wôrô et même des particuliers faisaient partis de ma clientèle. Où vais-je aller maintenant ? », s’interroge-t-il.
Et, comme on le sait, plusieurs quartiers ont été touchés par les déguerpissements. Et chaque déguerpissement a son lot d’artisans sinistrés. Ces derniers s’étonnent d’ailleurs qu’on les déguerpisse alors qu’ils sont de gros contribuables.
Les artisans sont en effet astreints au paiement de la taxe communale pour certains et de l’impôt pour d’autres. Il est quasi impossible pour eux d’exercer s’ils ne sont pas en règle vis-à-vis de la mairie où de la direction générale des impôts. Quant on sait que le secteur informel est le plus gros pourvoyeur d’emploi, on peut aisément imaginer le manque à gagner pour l’État. Alors pourquoi n’y a-t-il pas un plan clair d’indemnisation des artisans ? Une chose est sûre, la Chambre des métiers a décidé de faire un plaidoyer auprès des autorités gouvernementales pour une prise en compte des artisans dans les mesures d’indemnisations prévues. Là encore, ça sera fait sous condition.
Modeste KONÉ