En réalité, avec la volonté des États de l’AES de sortir de l’organisation sous-régionale, la CEDEAO a le dos au mur
Les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se sont réunis, dimanche 7 juillet 2024, à Abuja au Nigéria. Une rencontre qui donnait un coup d’accélérateur à la mise en œuvre de l’Éco, la monnaie qui devrait remplacer la monnaie coloniale, le Franc CFA. Jusque-là réticent, le pays de Bola Tinubu s’est activement impliqué, cette fois, dans la recherche de solution à la naissance de la monnaie commune. Tout cela aurait été vu comme une bonne nouvelle si ce 65e sommet ne s’était pas tenu au lendemain d’un sommet de l’Alliance des États du Sahel (AES) qui a abouti à la création de la Confédération des États du Sahel, marquant ainsi la rupture avec l’organisation sous-régionale. Alors, la question qui se pose dans une telle situation est : quelle monnaie des États de l’Afrique de l’Ouest sans le Mali, le Niger et le Burkina Faso ?
Sans entrer dans les considérations de ceux qui décrètent que les gros perdants dans cette crise sont les pays-membres de l’AES, nous conseillons plutôt d’adopter une approche objective pour ressortir le poids économique réel de ces États dans la sous-région. La réalité est que l’ÉCO, comme d’autres monnaies d’ailleurs, n’aura de valeur que par rapport au nombre de pays et au nombre de personnes qui l’utiliseront dans les échanges commerciaux. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger, avec respectivement, selon des chiffres de 2022, 22,67 millions, 22,59 millions et 26,21 millions d’habitants, représentent 17,4 % de la population d’Afrique de l’Ouest. Un tel poids démographique n’est pas négligeable. Ces trois pays constituent en outre 10 % du Produit intérieur brut (PIB) régional. Lors de la 5e réunion du Club Prospective du Centre d’Études Prospectives (CEP), Fanta Cissé, Représentante résidente de la CEDEAO en Côte d’Ivoire, avait clairement évoqué les enjeux d’un retrait de ces trois États. « Ensemble, ces 3 pays représentent 17% des 425 millions d’habitants de la région. Même s’ils représentent 10% du PIB, leur retrait entraîne une réduction de la taille du marché de la CEDEAO. En outre, ce retrait pourrait perturber le commerce intracommunautaire, en particulier le commerce de produit non transformé, tel que le bétail, le poisson, les plantes, les produits agricoles, les produits artisanaux traditionnels et les produits industriels d’origine communautaire », avait-elle fait savoir. D’un autre côté, elle a relevé les impacts significatifs de ce retrait sur la libre circulation des biens et des personnes, les droits d’immigration, l’accès aux privilèges accordés par la CEDEAO, les répercussions sur le statut d’immigration des citoyens de ces pays (obtention de visas pour se déplacer dans les pays voisins), les droits de résidence et les facilités pour la création d’entreprises prévus dans les accords de la CEDEAO. La perturbation en question du commerce se ressentira surtout lorsque les pays du Sahel, impactés par les lois de la CEDEAO, voudront appliquer le principe de réciprocité.
Ce qu’il faut également retenir, c’est que les États de l’AES ont un fort impact économique dans les échanges avec d’autres pays membres de la CEDEAO, contribuant ainsi au développement de l’économie de ces derniers. À titre d’exemple, comme l’écrivait un confrère togolais, « selon les données compilées par Togo First à partir de sources officielles, les trois pays de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) - le Burkina Faso, le Niger et le Mali - représentent ensemble plus de 92 % du volume de transit traité par le port de Lomé en 2022. Une augmentation constante est observée depuis 2019, période durant laquelle la plateforme portuaire togolaise, principal hub maritime d'Afrique de l'Ouest, est devenue un carrefour commercial majeur pour la région du Sahel ». Si donc, pour leur retrait, ces trois nations devraient connaître des restrictions, assurément que des économies des pays de la CEDEAO en pâtiraient.
Au total, s’il est vrai qu’ensemble on est fort, il n’y a pas de doute que les États de l’AES subiront de plein fouet l’impact de leur sortie de la CEDEAO. Mais, en retour, il n’y a aucun doute que les pays membres de l’organisation sous-régionale ressentiront violemment le retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Car, comme on peut le voir, ils comptent dans les échanges commerciaux, et donc dans l’économie ouest-africaine. Leur poids n’est donc pas à négliger comme une certaine opinion voudrait le faire croire.
Modeste KONÉ