Maria Dion-Gokan (caféologue ivoirienne) : « On ne fait pas que planter le café et puis vendre les cerises ou les grains alors qu’il y a énormément de métiers qu’on peut développer »





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Maria Dion-Gokan, prix d'excellence du meilleur ivoirien de la diaspora



Maria Dion-Gokan est la fondatrice de « Rituel café », une entreprise valorisant le café ivoirien dans le respect des normes éthiques et environnementales. Depuis le lundi 5 août 2024, elle est devenue la meilleure ivoirienne de la diaspora, après avoir remporté le Prix national d’Excellence de la présidence de la République dans cette catégorie. Dans une interview qu’elle nous a accordée à la faveur du Marché des arts et du spectacle d’Abidjan (MASA) qui a eu lieu en avril dernier en Côte d’Ivoire, elle nous parlait déjà de son amour inconditionnel pour le café.

On vous a découverte dernièrement dans une histoire de « Rituel café ». Comment est venu l'amour pour le café ?

Ça va paraître paradoxal, mais je ne consommais pas de café avant. Je n'aimais pas le café. J'avais décidé que je n'aimais pas le café, mais en fait, je ne connaissais pas le café. A un moment de ma vie professionnelle, salariée, j'avais envie d'une activité où j'allais être impliquée parce que je suis une personne engagée et je voulais trouver une activité où j'allais être impliquée. Mais, vivant en Europe, il me fallait trouver une activité qui allait me rapprocher de mon pays d'origine, qui allait mettre en avant mon continent, mais qui allait faire en sorte que moi, je puisse apporter ma pierre à l'édifice. Et j'ai décidé de m'intéresser à l'agriculture. Pour des gens qui me connaissent, je suis très citadine, je ne suis pas du tout la fille des champs et c'était vraiment paradoxal. Et c'est pour ça que je peux maintenant conclure que c'est le café qui m'a choisie. Donc, j'ai décidé d'aller au café parce que j'ai pris l'exemple de la Côte d'Ivoire, on a le café et le cacao, mais le cacao, je me suis dit que je n'allais rien apporter au cacao, dans la mesure où la Côte d'Ivoire était premier exportateur de cacao et qu'il y avait beaucoup d'acteurs dans cette chaîne. Je me suis dit, voilà un secteur d'activité dans lequel je vais pouvoir apporter quelque chose.

Que pensiez-vous apporter au café ?

Dans la recherche de ce qu'il fallait apporter au café, je suis allée à un salon de café. Mais je n’ai pas trouvé les valeurs que je pensais trouver sur place. Je n'ai pas trouvé de producteurs, je n'ai pas trouvé d'Africains, je n'ai pas trouvé mon pays présent et là je me suis dit voilà l'endroit où je peux être, où je peux apporter quelque chose. Et là, je savais que j'allais me lancer dedans.

Par la suite, qu’est-ce qui s’est passé ?

J'ai décidé d'apprendre d'abord à déguster le café et à me former au café. En 2018, j'ai commencé à prendre le premier cours de café. J'ai d’abord pris des cours de dégustation. Parce que si j'ai envie de convaincre des gens, il faut que je sache de quoi je parle. Et pour savoir de quoi je parle, il fallait que je puisse goûter le café. Et là, j'ai découvert le café, j'ai découvert l'univers du café, spécialement l'univers du café de spécialité. C'est la branche du café qui s'intéresse à tout ce qui est gourmet. Après les cours de dégustation, j'ai pris des cours de barista pour apprendre à faire du café. Ensuite, j'ai pris des cours de growing pour comprendre la croissance du café et des cours de méthode douce ou  slow coffee. Quand j'ai fini cette première étape, je me suis dit il fallait que je parte à l'origine parce que je ne savais pas exactement d'où venait le café. Et donc je suis partie dans les pays d'Afrique de l'Est parce que je vivais en France et c'était ces cafés-là qui étaient appréciés. Les gens ne connaissaient pas le café de Côte d'Ivoire, donc il fallait que j'aille voir ce qui se fait de mieux là-bas pour que ce soit apprécié ici et quelle serait la différence avec celui de mon pays d'origine. Donc je suis partie au Kenya, en Ouganda, au Rwanda. Je me suis formée au café vert, à la traçabilité, à la torréfaction. Je me suis formée au sourcing afin d’identifier les différentes qualités et je suis revenue en France. C’est ainsi que j'ai créé ma marque et j'ai commencé à travailler le café tout en continuant de me former.

 La formation a pris combien de temps?

La formation a pris trois ans parce que je suis partie à chaque fois dans les pays à l'origine. Je faisais un mois, deux mois, je revenais après je prenais les cours à distance, je continuais. Pendant que je travaillais sur mon projet, j'avais créé mon entreprise, et je continuais à me spécialiser.

Après toute cette formation, avec le bagage acquis, à quel moment vous sentez qu'il faut revenir en Côte d'Ivoire pour lancer votre affaire?

C'est quand j'ai commencé à parler café et qu'on m'a dit, ce que tu fais là, ce n'est pas pour nous. Dès l'instant qu'on m'a dit ça, je me suis dit mais c'est un pays producteur, on ne peut pas me dire ça. Donc ça veut dire qu'ils en ont besoin. Et s'ils en ont besoin, il faut que je sache comment m'intégrer à leurs besoins. C'est-à-dire que je dois faire en sorte que le café rentre dans le quotidien des Ivoiriens. Et pour que ça rentre dans le quotidien des Ivoiriens, il faut que je sache ce qu'ils reprochent au café et pourquoi ils ne consomment pas le café. Et quand je pose la question, la plupart des personnes que je rencontre me répondent que c’est parce qu'il est amer. J’essaie de leur faire comprendre qu’il y a des cafés qui ne sont pas amers et pour leur prouver cela, je commence à créer des infusions, à développer tout produit qui pourrait rentrer dans le quotidien des Ivoiriens, de sorte qu'il n'y ait plus d’objection. Chaque fois qu'il y a une objection, je crée un produit. Jusqu'à ce que je montre l'univers du café et que je leur montre que tout le monde est capable de consommer du café et que le café ne se consomme pas que de façon gustative. Mais aussi par la peau, visuellement et olfactivement. Donc le café c'est vraiment le produit qui utilise tous les sens. Au moment où on va torréfier le café, on va entendre des bruits pour savoir à quel moment notre café est cuit. Quand on va le goûter, on va le sentir pour découvrir les arômes qu'il y a autour du café. Nos papilles vont saisir les notes gustatives qu'il y a dans le café. Sur la peau aussi, le toucher avec les produits cosmétiques mais aussi avec la granulométrie (Mesure de la forme, de la dimension et de la répartition en différentes classes des grains : Ndlr) parce qu'en fonction de la boisson, il y a une granulométrie qu'il faut avoir. Et maintenant je me suis spécialisée dans la valorisation de l'art caféier tout entier.

À ce jour, combien de variétés de café êtes-vous capable de développer?

Je  produis le café en graines, en boules et en casus, pour qu'il puisse être consommé. Je produis des infusions à partir de la peau ou des feuilles de café. J’ai également du savon noir, des bougies, et un certain nombre de choses à base de café. Sans oublier des épices au café. Je fais aussi de la confiture, de la gelée, du sirop et du café baoulé.

Le café baoulé ? comment se présente-t-il ?

A la base, le café baoulé, c'est de l'eau, du sucre et puis le pain rassis qu’on appelle communément « Godio ». Mais chez nous Rituel Café, étant des professionnels du café, on ne peut pas admettre qu'on appelle café quelque chose qui ne contient pas du café du tout. Donc, on a créé un sucre caféiné et aromatisé pour boire ce café baoulé.

Avec toute cette implication, n’êtes-vous pas en train d’abandonner votre emploi pour vous consacrer au café ?

Depuis 2021, j'ai créé la société, donc je ne fais que ça. Je suis régulièrement dans les foires, les salons, je vais dans les plantations. Je forme des gens à déguster le café, mais aussi des professionnels à trouver leur voie dans le café. En fait, on ne peut pas faire le café sans chercher à développer cette filière.

Quelles sont les stratégies que vous entendez mettre en place pour développer cette filière ?

Il faut encourager les gens à rentrer dans cette filière. Il y a 50 opportunités de business dans le café. Donc il faut que l'on soit fort et qu'on puisse faire vivre cette filière. On ne fait pas que planter le café et puis vendre les cerises ou les grains alors qu’il y a énormément de métiers et il faut que les gens découvrent ça. Et ça peut créer des vocations.

Quels sont vos rapports avec les planteurs, les producteurs du café?

Moi, dans le système que j'ai créé, je fais du direct trade, c'est-à-dire que je travaille directement avec mon producteur. Et c'est pour cela que sur mes paquets de café, on va voir le nom de mon producteur et l'origine. La traçabilité est très très présente dans mon étiquetage et mon packaging. Aussi, si je n'ai pas encore visité le champ d'un producteur, j'ai au moins les images de sa plantation. Lorsque je reçois le café, j'analyse, je torréfie (préparer le café : Ndlr) avant de le mettre en vente pour que le producteur soit reconnu pour son travail. Moi, je ne suis qu'une ambassadrice. Les stars, ce sont les producteurs. J'ai de très bons rapports avec les producteurs. Et d'ailleurs, à ce propos, chaque année, j'organise le « coffee brunch » pour faire intervenir les premiers acteurs de la chaîne de valeur du café. Il faut qu'ils soient présents et qu'ils sachent ce qu'on fait de leurs produits. Et moi, quand je finis de torréfier les cafés, je les emmène au reproducteur.

Et au niveau administratif, quels sont vos rapports avec le ministère de l’Agriculture, le Conseil du café-cacao,…?

Ici en Côte d'Ivoire, le Conseil du café-cacao m'accompagne à sa façon. Ce n'est pas qu'il m'a financé une formation comme il en a fait pour d'autres. Par contre, quand il est sur des événements, il m'associe pour aller représenter la Côte d'Ivoire. Et ça, c'est important. Quand il vient en France pour le Salon de l'Agriculture, même si cette année, je n'étais pas présente, mais les années précédentes, j’étais présente pour représenter la Côte d'Ivoire. Le Conseil café-cacao est mon organe de régulation. C'est celui qui m'a donné l'autorisation d'exercer mon métier de torréfacteur. En Côte d'Ivoire, nous sommes une cinquantaine de torréfacteurs identifiés. Il y a aussi le Centre national de recherche agronomie (CNRA), avec qui je suis en relation pour pouvoir développer le café. Sans oublier le ministère des PME, le ministère du Commerce et de l'Industrie qui justement nous a fait partir à la foire de Dakar.

Est-ce que vous pensez à la formation pour stimuler la jeunesse ivoirienne à rentrer dans cette filière?

Déjà quand moi, j'ai commencé dans le café, j'ai certains concurrents qui m'ont reproché de trop en dire, que je suis en train de donner tous les secrets. Je dis oui justement parce que je veux qu'on soit de plus en plus nombreux. Pour ce faire, il faut que les gens sachent ce que je fais et combien c'est passionnant, que ce n'est pas aussi difficile qu'ils le croient. C’est pour cela que j’organise des conférences. C’est pour faire en sorte que les gens viennent et découvrent ce métier.

Quels sont les défis qui se présentent à vous ?

J'ai remarqué que les Ivoiriens ne sont pas assez curieux, parce que moi, ma curiosité a fait que j'ai pu développer ce que vous voyez. Je suis venue trouver des gens dans ce domaine-là, il y a des choses que je suis en train de leur apprendre. Et parce que je connais, je partage. Il y a de nombreuses personnes qui ont envie de faire ce métier parce qu’elles me voient. Et je leur dis de ne pas me regarder. Moi, je vais donner toutes les informations sur tous les métiers qui existent et maintenant chacun va choisir son chemin. Et pour moi, c'est la meilleure façon d'accompagner des gens. Je ne peux pas tout faire, je ne peux pas être partout. Ma santé ne me le permet pas. C'est pour cela que j'ai besoin que les gens sachent. Et je veux plus de femmes dans la caféologie. Parce que quand les femmes sont dans la caféologie, elles développent et communiquent certaines passions. Le café devient alors quelque chose de sensuel, d'agréable et d'accessible et ça donne envie de se lancer dedans.

Réalisée par Solange ARALAMON

 

 

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