Le célèbre fabricant de cercueils à Gagnoa connu sous le surnom d’OBV
Jacques Kouakou Kouassi dit O.B.V, jeune-homme originaire de la ville de Béoumi dans le centre de la Côte d'Ivoire est l'illustration parfaite de l'expression française ''avoir plusieurs cordes à son arc'' qui signifie en langage simple, faire plusieurs choses à la fois.
Dans l'univers des morts où il exerce, le concerné spécialisé dans la fabrication de ''caisse'', c'est-à-dire de cercueils, lave aussi les corps, les habillent et parfois les déterrent quand la situation le demande.
Dans une interview accordée à pressecotedivoire.ci, le mardi 20 août 2024 dans un atelier de fabrication de cercueils au quartier Garahio de Gagnoa, sur la voie menant à Abidjan, O.B.V lève un coin de voile sur plusieurs réalités de sa vie professionnelle. D'emblée, O.B.V révèle les précautions que lui et ses collègues prennent avant la fabrication d'un cercueil.
« Il y a la longueur moyenne d'un cercueil avoisinant 2m qui est connue de tous les menuisiers de ce domaine. Ainsi, lorsque la taille du défunt va au-delà de celle qui est habituelle, le menuisier a l'obligation d'aller prendre des mesures du corps à la morgue. La forme du défunt est aussi prise en compte avant et pendant la fabrication de cercueil pour éviter de faire un mauvais travail », explique-t-il.
Sans omettre un détail important sur la nécessité de faire des pratiques occultes pour fabriquer un cercueil ou laver un corps. « Point besoin d'avoir un troisième œil pour fabriquer les cercueils. Cependant, pour laver un corps, il faut être courageux. J'affirme cela parce que personnellement, je touche à toutes les branches dans le domaine mortuaire. C'est-à-dire que je lave le corps, je l'habille en plus de faire son cercueil. Je prête aussi mes services quand il s'agit de déplacer un corps déjà inhumé quelque part pour l'enterrer ailleurs », mentionne-t-il.
Le jeune homme ajoute : « Le temps de fabrication d'un cercueil diffère d'un cercueil à un autre. Il y en a dont la fabrication appelle à faire beaucoup de réflexion. Le menuisier peut passer toute une journée à le faire. Par contre, il y en a qui sont simples à fabriquer. Dans ce cas, tu peux faire jusqu'à cinq en une seule journée ».
O.B.V ne se souvient pas d'une quelconque peur qui l'aurait animé lors de l'habillement d'un corps sans vie. « Je n'ai jamais été habité par la peur quand il s'agit de vêtir un corps parce que pour moi, le mort est un humain qui a juste perdu le souffle de vie. La peur est juste valable pour ceux qui ne sont pas habitués à le faire surtout dans un endroit isolé avec une personne sans vie », rassure Jacques Kouakou Kouassi.
Si les menuisiers ordinaires se permettent de fouler au pied les dates retenues pour la livraison des meubles, ce n'est pas le cas pour les fabricants de ''caisses". Ici, le respect des engagements est de mise chez notre interlocuteur et ses collègues. Mais pas forcément chez leurs ''clients''.
« A la différence des autres menuisiers qui sont accros aux faux rendez-vous, les fabricants de cercueils sont tenus de respecter leurs engagements auprès des familles éplorées. D'ailleurs, les cercueils dans les pompes funèbres privées se fabriquent sous commande et doivent être livrées seulement à quelques heures des levées du corps. Cependant, il y a des parents qui continuent de devoir au fabricant de cercueil après l'inhumation mais jamais, ils ne sont traduits devant la justice », souligne et déplore à la fois Jacques Kouakou.
Les cercueils n'étant pas des marchandises à vendre comme de petits pains, ceux qui les fabriquent à l'avance ont des stratégies dans la tête. « Pour écouler les cercueils déjà fabriqués, il faut avoir des relations et surtout un carnet d'adresses très fourni sur la base des services rendus dans votre entourage. Dans le cas contraire, les cercueils risquent de s'abîmer sur leur lieu de fabrication ou de conservation. Cela ne veut pas dire que nous souhaitons la mort à nos connaissances pour se remplir les poches. La mort est un phénomène naturel auquel nous-mêmes fabricants de cercueils sommes exposés », révèle-t-il.
Les risques de la disparition d'un cercueil dans une pompe funèbre sont minimes. « Les cercueils ne se volent pas. La disparition d'un cercueil dans une pompe funèbre est forcément causée par une personne du milieu qui a des objectifs lugubres. Il m'a été donné de perdre un cercueil dans mon atelier avant de retrouver finalement les traces du voleur qui est de notre milieu. J'ai été obligé d'en fabriquer un autre pour ne pas essuyer la colère de la famille éplorée », assure-t-il avec un souvenir douloureux.
Contrairement à l'administration publique qui a instauré une tranche d'âge pour exercer et faire valoir les droits à la retraite, « il n'y a pas d'âge pour cesser de fabriquer les cercueils. Tant qu'il y a la force dans les bras et dans les jambes, le fabricant de cercueil est toujours utile pour le service. Mon départ de ce milieu personnellement n'est pas imminent. Mais s'il m'arrivait de faire une reconversion, de temps en temps, je reviendrai à ce travail », confie-t-il tout en rappelant aux plus jeunes de ce milieu que les fabricants de cercueil en quête d'argent finissent généralement dans la misère parce qu'ils tiennent à faire fortune sur le dos des familles en détresse.
Selon lui, il est à noter qu'actuellement, les cercueils qui sont prisés par les familles éplorées nanties de la cité du fromager sont copiés sur des modèles de cercueils appelés dans leur jargon ''boston''. Certes, les fabricants professionnels de cercueils de Gagnoa, à en croire son analyse, ne vivent plus de leur travail parce qu'ils font face à des menuisiers ordinaires se permettant de faire des cercueils avec des démarcheurs tapis dans l'ombre dans les villages. Cependant, ils se donnent les moyens de toujours bien manger étant donné que du jour au lendemain, Dieu peut les rappeler à lui.
Touré Boa
Correspondant régional