Le drame de trop ! L'information choque et exaspère l’opinion nationale. Pour tous et chacun, c’est indéniablement la goutte d’eau qui fait déborder le vase et ternit, à jamais, l’image, déjà exsangue de la redoutable, et très redoutée, Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci).
Le récent décès de l'étudiant Agui Mars Aubin Déagoué, surnommé "Général Sorcier", secrétaire général d'une section de l'organisation, l’un des principaux rivaux de l’actuel secrétaire général, Kambou Sié, relance le débat sur le rôle et les dérives de cette organisation créée en 1990. La Fesci, c'est indéniable, a joué un rôle important dans le processus de démocratisation du pays, surtout pour la défense des libertés syndicales et estudiantines. Mais, les heures de gloire sont passées et le mouvement, par petites doses, s'est mué en une sorte de mafia dirigée par des cartels eux-mêmes avec à leur tête des seigneurs. Comme "l'étudiant" tué récemment.
Agé de 49 ans, cet étudiant en master 2 d’anglais a été enlevé, il y a quelques jours, par des camarades présumés proches du SG Kambou, et conduit dans un endroit secret, où il a été, sans doute, torturé jusqu’à ce que mort s’en suive.
Son assassinat allonge la longue liste des crimes commis par la Fesci, depuis trois décennies d’une lutte qui a très souvent quitté le terrain syndical pour glisser sur celui de règlements de compte, à coups de machettes et de gourdins. Avant lui, Thierry Zébié, en juin 1991, après une chasse à l’homme à la Cité Mermoz ; Habib Dodo, membre fondateur de l’AGEECI (Association générale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire), enlevé en juin 2004 au domicile d’Ekissi Achy, secrétaire général du Parti communiste révolutionnaire de Côte d’Ivoire (PCRCI) avant d’être tué sur le campus et Richard Kouadio battu à mort à Grand-Bassam…Que dire des exactions commises en permanence sur les cités universitaires où la Fesci règne sans partage et impose, avec terreur, son diktat à la communauté estudiantine. C’est elle qui dicte la conduite à tenir, et qui définit les règles, et si quelqu’un ne s’y soumet pas, il est violenté. Elle dispose, de facto, d’un certain nombre de chambres dans les cités universitaires qu’elle sous-loue, au prix fort, à d’autres étudiants voire à des non-étudiants. Elle prélève également, avec force, des taxes sur tous les commerces installés dans le périmètre universitaire et parfois aux alentours des cités « U». Certains de ses leaders sont millionnaires et affairistes. Ce n’est pas tout, car sur le campus, la Fesci, dont les responsables ressemblent plus à des voyous qu’à de réels étudiants, brime la liberté d’expression et d’association des autres étudiants et des professeurs. Parfois, la présidence des universités publiques, notamment celle de Cocody qui porte le nom de Félix Houphouët-Boigny, est impuissante face aux agissements déplorables de ses membres, qui tiennent, avec leur capacité de nuisance et leur propension à la violence, presqu’en laisse tout le monde universitaire.
Disons-le tout net, la Fesci est un « monstre » qui a dévoyé sa mission originelle, à savoir la lutte pour l’amélioration des conditions de vie et d’étude des étudiants, pour devenir tantôt un instrument de lutte politique ou tout simplement un appendice du pouvoir (sous le régime Gbagbo où certains de ses membres s’étaient mués en Jeunes Patriotes pour défendre l’ancien chef d’Etat). Avec la complicité des acteurs politiques qui, insidieusement, ont instrumentalisé et financé la Fesci afin de servir leur lutte.
Aujourd’hui, le constat, après 30 d’existence, est déplorant : la Fesci est restée fidèle à ses travers. Si, au fil des ans, le commandement a changé, en revanche, les mauvaises habitudes demeurent, hélas, encore son ADN. Et comme l’excès nuit en toute chose, elle suscite désormais un sentiment d’exaspération à la fois chez les étudiants et dans la population en général.
C’est pourquoi, avec le meurtre du "général Sorcier", tout le monde souhaite que les autorités saisissent enfin l’occasion pour en finir définitivement avec l’Hydre. Qui fait plus de mal que de bien au monde universitaire.
C’est déjà bien de suspendre les activités syndicales estudiantines sur l’ensemble du territoire national et d’avoir mis aux arrêts, les auteurs présumés de ce crime crapuleux, en attendant que toute la lumière soit faite sur cette affaire, mais il faut des solutions pérennes susceptibles de recentrer le monde universitaire et scolaire sur l’essentiel : les études, rien que les études.
Cela passe nécessairement par le retour de l’autorité de l’Etat sur les campus et dans les cités universitaires, la fin des passe-droits pour la Fesci qui ne doit plus être intouchable, et surtout l’éradication de l’impunité totale en milieu universitaire et scolaire.
Enfin, les hommes politiques de tous bords, doivent absolument cesser d’utiliser la Fesci comme leur bras séculier pour assouvir leurs desseins. Même s’il n’est pas interdit que des étudiants, en tant que citoyens, expriment leur opinion politique. Toutefois, ils ne doivent pas être des acteurs actifs dans l’arène politique. Comme ce fut le cas par le temps, avec certains leaders de la Fesci. C’est donc l’occasion ou jamais de prendre la main sur la Fesci, dont le diktat n’a que trop duré.
Charles Sanga