L’Afrique des talents ! Il va falloir avoir un talent exceptionnel désormais pour bien regarder un match de football sur les terrains africains. Parce que les matches ne se déroulent plus que sur l’aire de jeu et…dans les tribunes. Le spectacle se déplace de plus en plus sur les bancs avec les coaches. Après la période faste des grands joueurs de football que le continent a produits et qui ont fait et continuent de faire le bonheur des stades européens, voici venu le temps des entraîneurs africains tacticiens.
Vendredi 12 octobre, 19h. Stade Laurent Pokou de la ville portuaire de San Pedro. C’est en Côte d’Ivoire, dans le sud-ouest. Pour la 3e journée des éliminatoires de la CAN 2025 qui se jouera au Maroc de décembre 2025 à janvier 2026, l’équipe nationale ivoirienne, les Eléphants, reçoit son homologue sierra-leonaise, les Leone Stars. Bien que son équipe mène depuis la 3e minute de jeu, le coach ivoirien Emerse Faé n’est pas très serein. Il semble préoccupé par le 5-3-2 ou 5-4-1 des visiteurs.
Et dès le quart d’heure, profitant d’un petit temps d’arrêt de jeu, on le voit sorti de sa base, un petit bout de papier en main, expliquant à Séko Fofana un schéma de jeu qu’apparemment l’ancien capitaine de Lens en France ne semble pas suivre. D’ailleurs, quelques minutes plus tard, le coach ivoirien revient à la charge avec le même bout de papier avec le même joueur. On voit rarement Faé si embarrassé après seulement quelques minutes de jeu.
L’enseignement donné à Fofana est finalement bien appliqué, ce qui réduit les chances sierra-leonaises de rejoindre l’équipe ivoirienne au score. Amidu Karim, le coach de l’équipe visiteuse, décide alors de procéder à deux changements. Nous ne sommes qu’à la 38e min. Le capitaine ivoirien Franck Kessié vient de rater le pénalty du 2-0. Le temps que le ballon sorte des limites du terrain pour faire les changements sierra-leonais, nous atteignons la 41e min. Le double changement est effectif. Deux minutes seulement plus tard, c’est le but égalisateur dans un mouvement d’ensemble bien exécuté mettant dans le vent Evan Ndicka, le solide défenseur central ivoirien.
Certes, les 22 joueurs sont sur le rectangle vert, courent après le ballon, contrent les phases offensives adverses, posent des tacles, dribblent, jonglent mais le vrai jeu se déroule sur les bancs, avec Faé et Karim. Et c’est aussi électrisant, haletant, palpitant et stressant que celui produit par 22 solides gaillards. Quand la seconde mi-temps commence, les Eléphants ne laissent passer que cinq minutes pour inscrire leur 2e but de la soirée. On s’attend à ce que les choses deviennent de plus en plus difficiles pour Amidu Karim et ses poulains. Que non ! Comme des Lions affamés, ils veulent toujours manger de l’Eléphant. Ils continuent de poser de sérieux problèmes au milieu ivoirien en jouant entre les lignes pour se retrouver facilement nez à nez avec les défenseurs ivoiriens.
Le coach ivoirien n’en peut plus de voir souffrir son équipe devant une équipe sierra-leonaise enthousiaste et dont on dirait qu’elle a mangé du cheval avant de monter sur le terrain. A la 65e min, il fait sortir deux attaquants qu’il fait remplacer par deux autres encore plus rapides et plus frais. L’objectif visé est clair : empêcher les défenseurs adverses de monter pour prêter main forte à leurs attaquants et ainsi casser la dynamique sierra-leonaise. On connaît maintenant la musique Faé : après un remplacement, il y a but. Et il y a eu but sur pénalty provoqué par un des nouveaux entrants. Alors que Karim venait de faire entrer un nouveau joueur et que son équipe retrouvait de l’allant.
Afin de sécuriser définitivement son score obtenu de haute lutte, en terme de schéma tactique, Emerse Faé procède encore à deux nouveaux changements. Il met en place un nouveau schéma tactique. C’est sans aucun doute le meilleur schéma de la soirée qui va consacrer sa victoire sur son homologue. Le coach des Eléphants de Côte d’Ivoire sort Jean Mickaël Séri et Séko Fofana et fait entrer à leurs places, Hamed Traoré et Guéla Doué. Les consignes qu’ils reçoivent sont des plus claires : fermer toutes les voies qu’empruntent les milieux offensifs sierra-leonais pour pénétrer dans la défense ivoirienne.
Le but recherché est de les obliger à aller sur les côtés. Or, entre temps, le jeune coach formé à Nantes a pris le soin de fermer solidement tous les couloirs. Résultat : la Sierra-Leone n’a plus d’espace pour circuler librement. Etouffés comme des rats dans une termitière à laquelle le chasseur a mis feu, les hommes de Karim passent en vain le reste des minutes à chercher le Saint qui pourrait les sortir d’une situation d’extrême précarité. Le Saint espéré ne leur étant pas apparu, les deux changements de fin de match opérés par le coach de 50 ans n’ont pu rien changer.
Bien au contraire, ce sont les Ivoiriens qui, avec la vélocité de leurs nouveaux entrants, vont obtenir un autre pénalty que Diakité n’a aucune peine à transformer. Il est vrai que les Ivoiriens étaient au-dessus de leurs adversaires aussi bien dans la récupération des balles, notamment les secondes, que dans l’animation offensive mais il faut reconnaître qu’ils ont eu du fil à retordre. Les Sierra-Leonais qui proviennent essentiellement des équipes de division inférieures (D2 ; D3 ; D4) de pays pas connus comme aimant et pratiquant particulièrement le football, méritent nos hommages pour nous avoir offert un spectacle des grands soirs de football.
Pour nous, ainsi que l’a fait le coach ivoirien, c’est avant tout un hommage à un coach qui, du temps où il jouait comme attaquant des Leone Stars, n’a pas fait la Une des grands titres, n’a pas joué dans de grands clubs. Mais une fois devenu coach et sélectionneur, réussit, en à peine un an, à transformer une équipe nationale en lui donnant une âme sans que l’on ne sache s’il a été formé dans un prestigieux centre de formation. C’est sûr et certain. Dans les années à venir, il ne sera pas surprenant de voir l’Afrique « vendre » ses cadres entraîneurs de football au reste du monde.
Abdoulaye Villard Sanogo