La promotrice du marché Valè Flè veut sensibiliser les femmes au retour dans les marchés traditionnels
Aurore Yirié Meylan est une ivoirienne de la diaspora, vivant à cheval entre la Suisse et la Côte d'Ivoire. Elle est la promotrice du marché Valè Flè situé à la Riviéra Feh Kessé et inauguré le 29 avril 2023. Dans cet entretien, elle nous parle des bienfaits de privilégier les produits bio, proposés dans les marchés traditionnels à ceux exposés dans les grandes surfaces
Comment vous est venue l’envie d’ouvrir un marché ?
J'ai grandi dans l'univers des marchés. Le tout premier marché Gouro à Adjamé Roxy a été construit par une parente à ma mère qui est la vieille Nanti-Lou Irié Rosalie. Quand elle est décédée, c’est ma tante qui a hérité et j’étais en contact avec cette dernière. Un oncle à qui nous sommes allées rendre visite une fois m’a recommandé d’ouvrir un marché. C'est ainsi que l'idée de faire un marché est venue. Après cela, j'ai regardé un peu à Abidjan et j’ai constaté que Bingerville est en train de croître, mais il n'y avait pas de marché dans la zone, je suis rentrée en contact avec le Maire. Il était étonné de voir une jeune ivoirienne de la diaspora qui voulait venir investir au pays, surtout en termes de marché. Donc il a cru en moi et il nous a aidés à acquérir cet espace. J'ai pris mes propres moyens pour commencer les choses. Nous sommes à la première phase du projet.
Quelle est la superficie du marché ?
Tout le terrain fait 4168 mètres carrés. Pour la première phase, nous avons fait un hangar sur 1000 mètres carrés. Ces installations-là sont provisoires. Après on va les démonter. La deuxième étape sera quelque chose de plus beau et de plus propre. Notre hangar peut accueillir presque 400 commerçantes, même avec la circulation entre les étals.
Qu’est ce qui est prévu pour la 2e phase ?
On aura des magasins sur un bâtiment de R+ 1, des box, une infirmerie, une poissonnerie, une boucherie, des assurances et plus des banques microcrédits. Nous faisons l’effort d’accueillir les commerçants dans un cadre vraiment bien organisé, bien structuré parce que nous voulons allier modernité et tradition. Je ne suis pas venue apprendre quoi que ce soit à nos mamans car elles ont fait un travail remarquable et parfait. Je suis venue pour juste changer un peu la forme des choses. Par exemple, on a séparé notre marché en plusieurs îlots pour regrouper les femmes qui vendent par famille de produits. Ce qui permet une circulation très aisée dans le marché et puis on a mis des pavés pour ne pas qu'il y ait de la boue,
Le nom du marché c'est Valè flè. Qu’est-ce que ça signifie exactement?
Valé flé signifie littéralement Samedi. C'est le jour de marché de Zuénoula qui est ma ville natale. C’est ce jour-là que les gens y vont, pas seulement pour faire le marché, mais aussi pour se retrouver et se donner des nouvelles. C'est un lieu de rencontre de biens et de services. Et à l'époque, chez nous les Gouro, quand c'est le jour du marché, tout le monde est bien sapé. Et c'est là où en général, les hommes repèrent les femmes, qu'ils envoyaient dans leurs villages. Après, les parents vont chercher leurs filles et quand ils les retrouvent, ils fixent la dote et le mariage est célébré par la suite. Donc le marché, c'est la vie.
Un an et demi après l'inauguration du marché, quel bilan pouvez-vous établir?
Le bilan est mitigé. Avec mon regard, j’ai l’impression que choses traînent. Mais quand les mamans Gouros viennent, elles qui sont expertes, elles me serrent la main et elles me font comprendre que le marché n’est pas facile car c’est un processus de longue haleine. Déjà, le marché commence à bouger et on sent l'esprit du marché qui s'est installé. Donc aujourd'hui, nous invitions les familles des environs à venir se ravitailler dans un marché traditionnel avec un environnement moderne.
Justement, vous venez dans une période où les supermarchés de vivriers ont pris de l’ampleur. Quel est votre regard sur ces supermarchés?
Quand nous nous sommes rendus compte que les supermarchés ont commencé à intégrer dans leurs rayons les produits vivriers et qu'il y a d'autres qui ont commencé à se spécialiser même dans la vente de produits vivriers, en tant que femmes du vivrier, nous avons compris l'importance de notre travail. De deux, on sait que dans nos pays d'Afrique subsaharienne, notre économie est à fort taux basée sur le secteur informel, tenu en fait en grande majorité par les femmes dans les marchés. Et aujourd'hui, je trouve que c'est triste que les supermarchés qui, dans leur stand ou dans leurs magasin ont une activité commerciale diversifiée, intègrent le vivrier encore dans leurs rayons, je ne vois pas son utilité.
Pourtant, ces endroits sont très prisés par les femmes qui disent que là-bas, elles peuvent choisir elles-mêmes leurs denrées en plus des prix qui sont bas…
Ce n'est pas juste. Parce que dans nos marchés, on fait de la vente en gros, demi-gros et détails. C'est pour toutes les bourses. Maintenant, les mamans qui étalent les produits n'interdisent pas aux gens de les toucher. Elles étalent en fait pour que les gens voient pour acheter. Donc tu touches, tu regardes s'il y a une tomate qui ne te plaît pas, elle a la possibilité de changer. En matière qualité prix, je pense que ce n'est pas vrai. Parce qu'au niveau des supermarchés, il y a une sorte de tricherie. Et il faut que les gens arrêtent de jouer sur l'ignorance des ivoiriens. Moi, par exemple, je vous donne un exemple très pratique que j'ai vécu. En fait, sur les réseaux sociaux, à une période de pénurie de bananes, on vendait les bananes moins chères dans les supermarchés dont vous parlez. Et il y a quelqu'un qui a écrit : « Moi, je ne vais au marché que pour acheter que du sel, les mamans sont trop chères ». Mais la question est de savoir comment tu peux acheter moins cher en dehors de la saison ? Parce qu’on sait que quand l'offre est plus élevée que la demande, naturellement c'est moins cher, mais quand ça l'inverse c'est cher.
Et pourquoi parlez-vous de tricherie ?
Les supermarchés veulent inscrire dans les mœurs des Ivoiriens d’aller chez eux, en leur faisant croire que c'est moins cher. A la vérité, l'enjeu qu'ils visent, ce n'est même pas la vente de produits, mais c'est d'appâter les gens pour plus tard s'étendre, et après, ils vont rattraper la marge qu'ils ont perdue. A la longue, les propriétaires de ces supermarchés vont phagocyter les pauvres cultivateurs qui n’ont pas les moyens. A ce moment-là, ils imposeront leur loi. Et comme on le dit chez nous, c'est qui est moins cher, coûte cher. Quand on sait bien que l'autonomisation de la femme est très chère au gouvernement, il est bon de comprendre que cela passe en grande partie dans les marchés. Parce que les femmes dans les marchés n'ont pas besoin de beaucoup de moyens pour exercer leur activité. Mais si aujourd'hui, ces grandes surfaces leur prennent leur activité, elles vont faire quoi après?
Que préconisez-vous pour que les marchés traditionnels attirent à nouveau ceux qui les ont désertés ?
Je veux faire comprendre que les marchés traditionnels sont des lieux de rencontres et d’opportunités. En, plus, ils sont fournis à tout moment et on peut trouver tout ce dont on a besoin. Parce que souvent les femmes vont dans les supermarchés et sont obligées de revenir aux marchés traditionnels pour compléter leurs achats. Aussi, en matière de conservation, ce ne sont pas tous les produits vivriers qu’il faut mettre au frais dans les climatiseurs. Vous remarquerez que certains produits perdent de leur fraicheur et de leur qualité quand ils sont exposés dans ces rayons. Il faut noter aussi que ce qui est vendu au marché est vraiment bio. Ce qui n’est pas vraiment vérifié au supermarché.
Quels sont vos futurs projets ?
On va finir avec la paperasse pour le volet administratif avant d’entamer la phase 2. Aussi, nous allons commencer à faire venir des camions de vivres pour permettre aux femmes qui veulent faire de la revente de se ravitailler.
Réalisée par Solange ARALAMON