Même si elle a 19 ans d’âge, la commission électorale est une réalité bien récente en Côte d’Ivoire au regard des 59 années d’indépendance du pays. De 1960 à 2000, soit pendant 40 ans, c’est le ministère de l’Intérieur qui organisait les scrutins électoraux à caractère politique.
Ce ministère était si inféodé au pouvoir PDCI des deux époques (parti unique et multipartisme) qu’une anecdote voudrait que ce soit le chef de l’Etat, Félix Houphouët-Boigny, candidat du Pdci-Rda et président sortant lors de l’élection de 1990, qui ait décidé que le ministère de l’Intérieur, organisateur du scrutin présidentiel, attribue le score de 18% à son adversaire, l’opposant Laurent Gbagbo.
Cette rumeur cocasse montre à quel point la Côte d’Ivoire était très loin de la démocratie, de la transparence électorale et des standards internationaux admis en matière d’élection privilégiant le slogan « un électeur, une voix (one man, one vote) ».
29 ans après le scandale électoral de 1990, la Côte d’Ivoire est-elle sur la voie de sortir de l’ornière des élections en pays bananiers, « pays de merde », pour reprendre l’injure de l’inénarrable Donald Trump à l’endroit de certains pays du continent africain ? Ce qui s’est passé en 2010 et ce qui pourrait survenir en 2020, nous incline à croire malheureusement que non. En 2010, la Côte d’Ivoire a été le théâtre d’un fait inédit. Un fait qu’on n’a vu dans aucun pays au monde. Ce fait que de nombreux Ivoiriens ont douloureusement vécu, le voici : le président de la commission électorale a annoncé les résultats de l’élection présidentielle au QG de campagne de l’un des deux candidats au second tour du scrutin. C’est comme si un match de football se joue, l’arbitre ne met pas officiellement fin au match sur le terrain (en territoire neutre) en présence des deux équipes, mais préfère se rendre dans les vestiaires de l’une des deux équipes et devant la presse, désigne vainqueur du match, l’équipe qui l’a accueilli dans ses vestiaires. C’est tout, sauf de la transparence et même du sérieux.
Cette parenthèse honteuse de 2010 qui ne nous a pas permis de savoir jusqu’à ce jour qui a véritablement remporté le scrutin présidentiel de cette année-là a démontré clairement que la Côte d’Ivoire n’est pas encore une démocratie. Parce qu’en démocratie, on ne gagne pas avec la complicité de l’arbitre. Mieux, l’arbitre est totalement indépendant et s’en fout du statut des différents candidats. Que tu sois le président de la République sortant ou le leader de l’opposition ou encore l’opposant le plus farouche, la commission électorale ou la structure organisatrice de l’élection présidentielle te traiteras de la même façon que ton adversaire. Ni privilège, ni fraude ou soutien en sous-main.
En France, François Hollande ne serait certainement pas élu pour un second mandat, s’il s’était présenté à l’élection présidentielle de 2017. Marine Le Pen et son Front national devenu Rassemblement national (parti d’extrême droite) n’ont toujours pas occupé l’Elysée (le palais présidentiel français) même si l’on constate que leurs idées semblent gagner du terrain au sein des masses populaires françaises. Donald Trump, l’actuel président américain, candidat à sa propre succession, aura visiblement fort à faire en 2020 pour rempiler. D’autant que sa gouvernance suscite de fortes réprobations même dans son propre camp Républicain. Ni Marine Le Pen, ni Donald Trump ne pourront donc compter sur la structure organisatrice de l’élection présidentielle en France et aux Etats-Unis pour espérer décrocher l’Elysée ou conserver la Maison Blanche. Ils ne songent donc pas à la contrôler. Cela ne leur traverse même pas l’esprit. Idem pour leurs adversaires politiques, au pouvoir ou dans l’opposition.
C’est cela démocratie. Qui n’a rien à voir avec ce que nous constatons en Côte d’Ivoire où le pouvoir et l’opposition veulent contrôler la commission électorale. Qui elle, se pose depuis toujours comme une marchandise soumise au plus offrant. Le vote des électeurs compte peu. D’ailleurs à 15 mois de l’élection présidentielle de 2020, personne, ni pouvoir ni opposition, n’évoque son projet de société ni son programme de gouvernement en faveur du bien-être des populations.
Veritas
Par Didier Dépry