Immigration clandestine depuis la Tunisie : Le témoignage poignant d’un rescapé : "Si c’était à refaire ..."





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L’Afrique et particulièrement la Côte d’Ivoire a été bouleversée, il y a quelques semaines, après l’annonce de la mort de plus d’une vingtaine de jeunes au large de la Tunisie. Ces derniers tentaient de rejoindre l’Italie par une embarcation de fortune quand ils ont été surpris par un orage en haute mer. Lobognon Alvine Eric Niaba, jeune Ivoirien d’une trentaine d’années qui a réussi cette expérience, fait un témoignage exclusif sur la face cachée de cette immigration clandestine. 

Lobognon Alvine Eric Niaba : 


" Il y a trois catégories de personnes qui se retrouvent en Tunisie. Il y a ceux qui y vont parce qu’ils ont le goût de l’aventure, ceux qui y vont à cause de la galère qu’ils vivent au pays et ceux qui fuient à cause de leur appartenance politique. En général, les gens qui vivent déjà en Tunisie induisent les autres qui sont encore au pays en erreur. Moi, par exemple, je me débrouillais déjà en Côte d’Ivoire en faisant de petits boulots. A un moment donné, je me demandais ce que je pouvais devenir avec mes maigres moyens parce que je vivais au jour le jour. Et en plus, ma copine venait d’accoucher. J’étais désespéré car je ne savais plus à quel saint me vouer. Et comme j’étais en contact avec des amis qui étaient en Tunisie, ces derniers m’encourageaient à chaque fois à venir les rejoindre. Ils me répétaient que j’étais courageux et qu’il y avait du boulot que je pouvais faire une fois sur place en Tunisie. Ils me montraient sur Facebook les photos de leurs maisons et de tout ce qu’ils possédaient là-bas. Cela m’a mis en confiance, surtout que je n’ai pas besoin de visa pour m’y rendre. C’est comme ça que j’ai décidé de partir. 
J’ai donc acheté mon billet à 350.000f et j’avais 150.000f comme argent de poche. Pendant ce temps, mon ami chez qui je devais me rendre m’a fait venir un certificat d’hébergement et le motif de mon voyage. Souvent des personnes n’ont pas les moyens de se payer le billet et nos frères qui sont sur place là-bas leur font venir l’argent pour gérer tous les documents afin de faire le voyage. Mais ce qui fatigue, c’est la mauvaise foi de ceux qui nous accueillent. Avant de venir, ils te disent que tu travailleras pour eux, entre 2 et 5 mois, afin de leur rembourser les frais d’hébergement et le fait qu’ils te couvrent face à la police, car il faut dire qu’en Tunisie, les noirs n’ont pas le droit de travailler.

"Mon ami m’a vendu comme esclave"


Quand je suis arrivé en Tunisie, malgré le fait que j’ai payé mon billet et que j’avais mon argent de poche, mon ami m’a demandé de travailler pour lui pendant trois mois car je logeais chez lui. Ce que j’ai accepté parce que je n’avais pas le choix. Pendant trois mois, j’ai travaillé sans être payé car mon salaire était versé à mon ami qui m’a vendu comme esclave au Tunisien qui doit m’employer. Ce dernier a bloqué mon passeport pour ne pas que je m’évade et il faisait de moi ce qu’il voulait. J’ai appelé mon propre frère Ivoirien pour lui demander de venir voir dans quelles conditions je vis et comment je suis traité, mais il ne venait jamais. Finalement, il a fermé son téléphone et était injoignable. J’étais donc livré à moi-même dans un pays que je ne connais pas. J’étais obligé de travailler
J’étais dans une ferme où il y avait plus de 2000 lapins. Je me réveillais tous les jours à 5 h du matin pour nettoyer la ferme jusqu’à 20 h avant de faire mon repas dans la cour avec du bois, comme au campement et de me laver en plein air sous 5 à 10 degrés. 
Après trois semaines, je me suis retrouvé chez un autre Tunisien où je devais charger et décharger des camions de ciments, je vendais également des carreaux, du fer, des briques, du carburant, sans jour de repos. Je n’avais pas le droit de me plaindre, sinon, ton employeur appelle la police et tu es arrêté. J’ai aussi travaillé dans un endroit où je travaillais de 4 h du matin à 18 h pendant 3 mois et mon patron m’a proposé de me convertir à l’islam. Ce que j’ai accepté parce que je n’avais pas le choix. A partir de là, il m’a recueilli chez lui et c’est ce dernier qui m’a aidé à sortir du pays par la mer. Le cas des filles est plus grave parce que souvent elles sont abusées par leurs employeurs.

"Ce qui fait que les gens ne reviennent pas, c’est la honte de revenir bredouille"

Ce qui fait que les gens ne reviennent pas, c’est la honte de revenir bredouille quand les parents comptent sur toi, mais aussi la pénalité qu’on nous impose avant de sortir de leur pays. On doit payer une pénalité de 100 dinars (30 000 FCFA) par mois, après trois mois de présence sur le sol tunisien. Ce qui fait que plusieurs personnes ne peuvent plus revenir et empruntent le chemin de l’Europe par la mer.
Pour partir en Italie, en janvier 2018, nous sommes passés par l’archipel de Kerkenah, située à 20 km de la ville de Sfax où le drame s’est produit. Une fois sur l’ile, nous avons passé une semaine à attendre car la météo indiquait qu’il y aurait des orages. Nous avons été obligés de rebrousser chemin. Nous avons attendus trois semaines et nous sommes repartis trois semaines après et là, nous avons pu embarquer. Lorsque nous sommes arrivés au bord de l’eau, nous avons enlevé tout ce que nous avions sur nous et sommes descendus dans la mer à pied. Nous avons marché environs 10 minutes dans l’eau avant de monter dans un petit bac qui nous a conduit à une pinasse qui devait nous envoyer en Italie. Nous étions 43 personnes dans un bateau de 20 personnes et avons fait 24 h sur la mer avant d’atteindre l’eau internationale qui n’est sous l’autorité d’aucun état, quelques 45 minutes après, nous avons aperçu les bateaux de la croix rouge qui sont venus nous chercher avec les hors-bords. A ce niveau, nous étions obligés de mentir pour dire que c’est un pêcheur qui nous a abandonné là. 

"Si c’est à refaire, je le referai…"


Je voudrais faire remarquer que ce sont de vieux bateaux avec des moteurs défaillants que les Arabes utilisent pour ce genre de transactions. Donc, à la moindre erreur, c’est le naufrage. C’est le plus gros risque que nous prenons, à partir de la Tunisie, contrairement aux immigrés allant à partir de la Lybie. Eux, ils sont transportés par des zodiacs. Nous avons aussi eu un problème. Notre bateau a failli couler parce qu’il y avait des étincelles au niveau du moteur. Heureusement que dans notre pinasse il y avait un mécanicien qui nous a aidé à réparer cela rapidement. C’est ce qui nous a éviter la mort. Aujourd’hui, selon les informations que j’ai, il y a plus de 300 jeunes africains qui attendent d’embarquer pour l’Europe, malgré la pandémie du coronavirus.
Lorsque nous sommes arrivés à Lampedusa, on nous a envoyé à Palermo Villafrate, en Sicile, qui se trouve à 8h ou 9h de route. De là, il fallait partir en France. A ce niveau, il faut prévoir 500 Euros pour traverser la frontière avec l’aide d’un "camoracien" (des passeurs).
Nous étions 7 ivoiriens superposés dans la partie réservée au moteur d’un camion pour arriver à la frontière, dans la ville de Nice, et une fois-là, les "camoraciens" ont payé nos tickets pour aller à Paris. Malheureusement, nous sommes arrivés au moment où la gare était fermée, donc nous avons été obligés de dormir à la gare  de train sous la pluie. Le lendemain, au moment de monter dans le train pour aller à Paris, nous avons été arrêtés par la police et après un interrogatoire corsé, ils nous ont libéré.
Si c’est à refaire, je vais le refaire car mon pays ne me donnait pas le choix. Je suis une génération sacrifiée car depuis 1998 que j’ai eu le Bac, j’étais livré à moi-même, sans accompagnement, rien du tout. 
Aujourd’hui, même si je n’ai toujours pas mes papiers, je fais de petits boulots qui me rapportent mieux que quand j’étais au pays". 

Propos recueillis par Solange ARALAMON

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