La décision du président Ouattara de se présenter pour un troisième mandat fait polémique. Comprenez-vous les contestataires ?
Hamed BAKAYOKO. – En cas de désaccord sur l’interprétation de la Constitution, c’est le juge constitutionnel qui tranche. Pour nous, la candidature du président Ouattara respecte la Constitution. La vraie question qui se pose est
de savoir si nous sommes dans une nouvelle République ou pas. Or la Constitution de 2016 a profondément remanié tous les pouvoirs notamment l’exécutif, avec la création d’un poste de vice-président, le législatif avec la création
du Sénat, et le pouvoir judiciaire avec la création de la Cour de cassation. Donc nous sommes bien dans une nouvelle République et tout le monde sait que ça remet les compteurs à zéro. Et c’est aussi cette nouvelle Constitution
qui permet à messieurs Bédié et Gbagbo de se présenter, eux qui ont aussi fait deux mandats. Le président Ouattara est par ailleurs un homme de parole. Il avait, en mars dernier, désigné un successeur: Amadou Gon Coulibaly, le premier ministre. Son décès brutal, le 8 juillet en plein Conseil des ministres, a constitué un cas de force majeure. Le président a donc pris la décision difficile de se représenter pour garantir la stabilité du pays. Il fallait un homme d’expérience.»
Pourtant il semble y avoir d’autres hommes d’expérience. Vous-même, par exemple, vous êtes ex-ministre de l’Intérieur et de la Défense, premier ministre…
Écoutez, on n’improvise pas une candidature à la présidence de la République en quelques semaines. Un dicton africain de grande sagesse dit: «Apprendre patiemment est une grande vertu.» Je continue d’apprendre et je reste convaincu qu’on peut servir son pays à tous les postes, pas seulement comme président de la République. Avec sa confiance j’assure les fonctions de premier ministre, et à travers moi, c’est toute une nouvelle génération qui est en responsabilité.
Quand on voit la candidature de M. Bédié, qui a 86 ans, là on est très loin d’une nouvelle génération. Lors du référendum en 2016, plusieurs ténors de votre parti avaient pourtant assuré que le président n’aurait ni l’intention ni la possibilité de se représenter…
C’est sûr qu’ils ont affirmé que le président n’avait pas l’intention de se présenter. Et jusqu’au décès d’Amadou Gon Coulibaly, c’était le cas. Puis, il a dû prendre cette décision difficile. L’opposition affirme aussi que plusieurs candidats de poids, notamment Laurent Gbagbo ou Guillaume Soro, sont empêchés de se présenter…Ils ont bel et bien déposé leurs candidatures à la Commission électorale indépendante.
C’est vous dire que personne n’est empêché de se présenter. Mais il y a des règles. Il y a la loi. En Côte d’Ivoire, quand vous avez une condamnation définitive dans certains domaines, vous perdez vos droits civiques. Et donc vous n’êtes plus électeur et, par là même, vous n’êtes plus éligible. Ils le savent.
Ne redoutez-vous pas que cela réveille de vieux fantômes, ceux de l’élection de 2000 où certains candidats ne pouvaient pas se présenter, notamment Alassane Ouattara ?
Non. Nous faisons confiance aux lois et aux institutions judiciaires. Et puis la Côte d’Ivoire de 2020 n’a rien à voir avec celle de 2010 ou de 2000. C’est un pays qui n’est plus divisé en deux, qui ne compte plus deux armées. Il y a eu
des progrès importants en matière de droits de l’Homme, de sécurité et de développement économique. Aujourd’hui, c’est vrai qu’il y a beaucoup de surenchères du fait des politiques. Mais j’ai confiance dans notre capacité à organiser
des élections dans de bonnes conditions. Tout se passera bien.»
La Commission électorale est critiquée par l’opposition mais aussi par l’Union africaine (UA). Peut-elle assurer une élection transparente et apaisée ?
Bien sûr! D’ailleurs la majorité des recommandations de la Cour africaine des droits de l’Homme étaient déjà prises en compte. Nous allons revoir, comme le demande l’UA, toutes les structures de la Commission, y compris celles décentralisées. Nous nous y sommes engagés. Là, nous sommes en attente de la désignation des membres par un parti politique d’opposition. Cette commission sera la plus équilibrée de l’histoire de la Côte d’Ivoire. Sous Bédié, les
élections étaient organisées par le ministère de l’Intérieur, sous Gbagbo, la majorité des membres de la commission émanaient des pouvoirs publics. Aujourd’hui la société civile est aussi importante que les partis politiques.
Le contexte électoral est aussi alourdi par le Covid. Où en est la Côte d’Ivoire?
La Côte d’Ivoire a mis en place un plan de riposte sanitaire qui fonctionne et qui a permis de limiter l’expansion de la maladie. Il y a environ 1,2 million de personnes contaminées en Afrique, dont 18.000 ici. Depuis le 11 mars, et le
premier cas enregistré, nous déplorons 117 morts. La réaction a été vigoureuse et rapide, avec la distribution gratuite de 200 millions de masques, la mise en place de centres de dépistage gratuits, et la construction de centres de
prise en charge des malades. Cela a fonctionné mais coûte cher, environ 3 milliards de dollars, soit 5 % de notre PIB. Donc, il n’y a aucune raison de reporter la date des élections.
Autre sujet de préoccupation, le terrorisme. Redoutez-vous des infiltrations?
La menace terroriste dans la sous-région est une réalité et une vraie menace. L’attaque de Kafolo (qui avait fait 10 morts parmi les militaires le 10 juin, NDLR) l’a démontré. Nous avons réagi et arrêté une quarantaine de personnes,
toutes présentées au juge, dont au moins six étaient des éléments essentiels de leur système. Ce qu’il faut c’est anticiper cette menace en formant des forces spéciales, des services de renseignements capables de capter les
mouvements de ces groupes. Dans le cadre d’un partenariat opérationnel avec la France, nous travaillons d’ailleurs à la création d’une académie militaire à Jacqueville, pour mettre à niveau tous les cadres militaires mais aussi les policiers, gendarmes, et les magistrats.
Par Tanguy Berthemet (LE FIGARO)