A cinq jours de l’élection présidentielle qu’il prépare, Alassane Ouattara vient d’indiquer clairement à l’opinion qu’il n’est pas le Président réconciliateur dont la Côte d’Ivoire a besoin.
Si on était au football, les récentes interviews accordées par le chef de l’Etat ivoirien aux confrères français Le Monde et le Journal du dimanche (JDD) seraient qualifiées d’autogoal, c’est-à-dire « but marqué contre son camp ». Pas parce que ces entretiens sont publiés par des journaux non-ivoiriens, mais à cause de leur contenu qui disqualifie définitivement le Président sortant candidat à un troisième mandat consécutif anticonstitutionnel. Une candidature fortement contestée dans la rue, mais imposée depuis quelques semaines par le tenant du pouvoir. Entre autres arguments, Alassane Ouattara prétend qu’après le décès brutal du candidat initial du Rhdp Amadou Gon Coulibaly, il a décidé de postuler afin de préserver la stabilité du pays. C’est justement cette stabilité déjà perturbée depuis l’annonce de sa candidature à problème, qui est sérieusement menacée par ses sorties de ce week-end. Dans ses réponses sur le sort qu’il réserve aux principaux leaders de l’opposition, le président de la République a étalé toute la rancœur et la grande intolérance qui l’animent. Alassane Ouattara promet au confrère Le Monde de faire rentrer au pays l’ex-détenu de La Haye Laurent Gbagbo,que si celui-ci acceptait de « vivre « une vie normale » et s’il est « sage ». En d’autres termes, il lui exige d’éviter toute activité politique. Quelle dictature !
Quant aux autres leaders, à savoir Henri Konan Bédié, Guillaume Soro, Pascal Affi N’Guessan,Mamadou Koulibaly qui endossent solidairement le mot d’ordre de désobéissance civile, ils pourraient vite se retrouver derrière les barreaux. « Cela (les violences actuelles, ndlr) finira après l’élection. Tous ceux qui organisent cela vont rendre des comptes. Je ne vais pas laisser cela perdurer. Nous avons des éléments précis qui incriminent l’opposition, mais compte tenu de la période électorale, je ne veux pas envenimer les tensions… », explique-t-il. On l’aura compris, les leaders cités sont en sursis car Ouattara veut éviter, avant le 31 octobre, toute initiative susceptible d’en rajouter aux troubles et compromettre la bonne tenue du scrutin auquel il rêve.
Il s’est montré particulièrement amer à l’égard de Guillaume Soro. Dans le JDD, Ouattara accuse le président de GPS d’être mêlé à la mutinerie de mai 2017 pour avoir entreposé des armes au domicile de son directeur de protocole Koné Kamaraté Souleymane dit Soul To Soul, à Bouaké. Il l’accuse par ailleurs d’avoir préparé un coup de force contre son pouvoir. Pour tout-cela, prédit le chef de l’exécutif, Guillaume Soro mérite la prison à perpétuité.
Manifestement, la fermeté affichée par le président du Rhdp a pour but de rassurer ses partisans de plus en plus nombreux à lui reprocher sa timidité devant les actions de contestation de l’opposition. Mais, on peut l’affirmer, cette communication est contre-productive.
D’abord, elle n’est pas de nature à rassurer ses propres partisans. Car, les allégations faites par Ouattara sur le coup de force en préparation contre son régime, ou encore celles attribuant à Guillaume Soro l’envoi de personnes pour semer des troubles à Dabou, viennent confirmer aux inconditionnels du Rhdp qu’il y a vraiment péril à l’horizon. Ce qui va forcément doucher leur enthousiasme à sortir massivement le 31 octobre pour voter comme le souhaite leur candidat, surtout que celui-ci, malgré tous les moyens militaires brandis par son régime, ne parvient pas à empêcher les vagues de violences depuis des semaines et pourrait encore se laisser surprendre. Si les partisans du Rhdp sont effrayés dans leur fort intérieur par les annonces de leur mentor, le pessimisme doit être plus grand chez le commun des Ivoiriens.
Ensuite, ces interviews très relayées sur la toile sont venues éclipser la campagne électorale. Et, au lieu de lui permettre de parler de son bilan, elles ont porté au contrairement sur des sujets graves qui au contraire détournent de cette campagne et confirme la réalité des tensions actuelles que l’interviewé a qualifié, sans convaincre, des tensions artificielles.
Enfin, tout en offrant à ses opposants une occasion en orde lui apporter des répliques retentissantes comme cette vidéo virale de Guillaume Soro vues par des millions d’internautes, le successeur de Laurent Gbagbo a victimisé ses adversaires. Désormais, l’opinion nationale et internationale sait que sa réélection ne permettra pas l’avènement d’une « Côte d’Ivoire meilleure », telle que promise dans son slogan de campagne, mais une Côte d’Ivoire des règlements de compte. Donc une Côte d’Ivoire plus instable.
Cissé Sindou