Le groupe d’observateurs "Indigo Côte d’Ivoire" a rendu public ce dimanche 7 mars, une déclaration, après la tenue des élections législatives qui se sont déroulées sur toute l’étendue du territoire ivoirien le samedi 6 mars.
Ci-dessous l’intégralité de la déclaration :
L'élection des députés à l’Assemblée Nationale du 06 Mars 2021 s’est déroulée dans un environnement relativement apaisé sur l’ensemble du territoire avec des incidents observés dans un certain nombre de localités.
CONTEXTE ÉLECTORAL GLOBAL
Depuis mars 2020, Indigo Côte d’Ivoire, dans le cadre de sa mission d’Observation Long Terme (OLT), a observé l’environnement sociopolitique avant, pendant et après le scrutin présidentiel de 2020 qui s’est déroulé dans un contexte de violences.
En vue de contribuer à créer les conditions d’un processus électoral inclusif, apaisé, transparent et sans violence pour les échéances électorales à venir, Indigo Côte d’Ivoire a formulé des recommandations aux différents acteurs politiques ivoiriens ainsi qu'à toutes les parties prenantes. La principale recommandation était d’initier un dialogue entre toutes les franges de la société politique ivoirienne afin d’apaiser le climat et trouver des solutions pacifiques à leurs différends.
Dans le cadre des élections législatives 2021 l'observation long terme du processus politique et électoral, a relevé un environnement pré électoral moins tendu par rapport à celui de l'élection présidentielle 2020, favorisé par le retour du dialogue politique entre les acteurs politiques et la volonté de tous les acteurs du pouvoir et de l’opposition à compétir pour gagner le maximum de sièges à l’Assemblée Nationale. Cependant, la désignation des candidats au sein des différents partis, groupements et coalitions politiques a suscité des tensions. Au sein du parti au pouvoir, un arbitrage a dû être fait pour choisir les candidats dans différentes localités convoitées par plusieurs cadres du parti. L’opposition, quant à elle, a essayé d'aller aux élections législatives en rangs serrés, sans toutefois réussir à fédérer tous les partis de l’opposition autour de candidatures uniques dans toutes les circonscriptions.
S’agissant de la représentativité des femmes aux postes électifs conformément à la loi 2019-870 du 14 octobre 2019, favorisant la représentation des femmes dans les assemblées élues, à peine 14% soit moins de 500 candidatures féminines sur 3174 candidatures, titulaires et suppléants compris, ont été enregistrées et validées pour ces élections. Ce chiffre se justifie à la fois par un manque de volonté politique réelle d’inclure les femmes mais aussi par l’existence des violences.
relatives à l'intimidation et au harcèlement des femmes intéressées à se présenter comme candidates.
Pour ce qui est de l’engouement pour ces élections, les populations à la base n’y ont pas manifesté un réel intérêt, probablement à cause du souvenir récent du contexte politique de l’élection présidentielle de 2020, particulièrement tendu et émaillé de violences.
Eût égard à ce contexte assez favorable mais marqué par quelques tensions, Indigo Côte d’Ivoire, à travers le programme “Transition et Inclusion Politique”, avec l’appui technique et financier du NDI, de l’USAID et de l’Ambassade de la République Fédérale d’Allemagne, a déployé 500 citoyens pour l’observation du scrutin du 06 mars 2021. INDIGO a exhorté toutes les parties prenantes au processus à poser des actions visant à décrisper ces foyers de tensions et les a encouragés à préserver la stabilité du climat social et politique par des discours responsables, avant, pendant le déroulement de la campagne électorale et après le scrutin.
LA MÉTHODOLOGIE DE L’OBSERVATION
L’observation du jour de scrutin de ces élections législatives a obéi à une méthodologie de déploiement proportionnel d’observateurs mobiles couvrant ainsi tous les départements de la Côte d’Ivoire.
En effet, dans le cadre de son programme, Indigo Côte d’Ivoire mène depuis mars 2020 une mission d’observation citoyenne à long terme des dynamiques sociopolitiques en lien avec les processus politiques et électoraux, à travers 120 observateurs départementaux formés et déployés dans les 107 départements de l'intérieur et les 13 communes d’Abidjan.
Pour le scrutin du 06 mars 2021, Indigo Côte d’Ivoire a également recruté, formé et déployé 500 observateurs et observatrices citoyens mobiles dont 34% de femmes, chargés du suivi des opérations de vote à l’intérieur des bureaux et de scruter l’environnement sociopolitique et sécuritaire dans lequel se déroule le scrutin.
Cette déclaration préliminaire se fonde sur les rapports de 477 des observateurs Indigo Côte d’Ivoire accrédités par la Commission Électorale Indépendante (CEI) et déployés sur le terrain le jour de scrutin. Ces observateurs ont visité au total 1429 bureaux de vote pendant toute la journée de l’élection. Chaque observateur a eu l’instruction d’observer l’ouverture et le dépouillement dans un même bureau pré identifié et de visiter lors du vote un total de trois bureaux de vote sélectionnés. Les observateurs ont passé en moyenne deux heures dans chaque bureau de vote.
A l’instar des observateurs d’Indigo Cote d’Ivoire, le dispositif du quartier général comprend une équipe d’observateurs et de monitoring des discours de haine en ligne et de la désinformation en période électorale. La déclaration a pris en compte l’analyse des données collectées par les 50 observateurs dédiés à cet exercice.
L’OBSERVATION DE LA JOURNÉE DU VOTE
La journée électorale du 06 mars s’est déroulée dans un cadre relativement calme et le scrutin s’est globalement bien déroulé malgré la survenue de quelques incidents n’ayant tout de même pas empêché la bonne tenue des élections.
Toutefois, Indigo CI déplore l’utilisation des réseaux sociaux et autres canaux de communication par certains candidats pour autoproclamer leurs victoires, semant ainsi, les germes de révolte au sein de leurs partisans. Ceci constitue une violation du code de bonne conduite des partis et groupements politiques. INDIGO appelle les candidates et candidats au respect scrupuleux du code de bonne conduite auquel ils ont librement adhéré et signé.
Ouverture des bureaux de vote
99% des bureaux observés par Indigo Côte d’Ivoire ont ouvert avant 10h.
Le matériel électoral (urne, isoloir, kit d’authentification biométrique, encre indélébile, bulletins de vote) était disponible dans la quasi-totalité des bureaux observés à l’ouverture.
Les trois agents de la CEI (le président et les deux accesseurs) étaient présents à l’ouverture des bureaux de vote dans 95% des bureaux observés, 5% des bureaux observés ont démarré le vote avec deux agents électoraux présents.
Seulement 3% des bureaux de vote avaient les trois agents électoraux qui étaient des femmes et 60% n’avaient qu’une seule femme. Par ailleurs, 14% des bureaux observés ont eu une femme comme Présidente de bureau.
Les observateurs ont rapporté que les forces de sécurité étaient présentes dans 96% des centres de vote visités.
Déroulement du vote
Les observateurs ont noté un contrôle systématique des pièces requises pour le vote, par les agents électoraux. Par ailleurs, l’on a relevé de multiples cas où les agents électoraux n’étaient pas informés d’un arrêté publié par la Commission Électorale Indépendante le 3 mars 2021 autorisant les électeurs à présenter trois autres documents (certificat de nationalité, attestation d’identité et le récépissé de la nouvelle carte nationale d’identité) en plus de la carte d’identité et la carte d’électeur pour prendre part au vote.
Les agents électoraux ont vérifié systématiquement les noms de chaque électeur dans la liste d’émargement mais dans 5% des bureaux de vote visités, les agents n’ont pas vérifié les empreintes digitales de l’électeur à partir des kits d’authentification biométrique. Nos observateurs rapportent plusieurs incidents observés où le kit d’authentification biométrique a mal fonctionné à un certain moment de la journée.
Dans les bureaux observés, les électeurs ont systématiquement été appelés à signer la liste d’émargement après avoir voté.
Les agents électoraux ont systématiquement vérifié la présence de l’encre indélébile sur le doigt des électeurs dans 94% des bureaux observés. Indigo note que l’isoloir n'était pas placé de manière à garantir le secret de vote dans approximativement 6% des bureaux visités.
Les observateurs d’Indigo ont signalé des incidents de violences ayant mené à des cas de destruction du matériel de vote à Bouaflé et Oumé mais malgré cela, l’atmosphère générale a été globalement marquée par le calme et la sérénité.
Les partis politiques du pouvoir, de l’opposition et même les candidats indépendants ont été largement présents dans les bureaux de vote visités à travers leurs représentants.
Les observateurs de Indigo notent aussi la présence d’autres observateurs de la société civile dans approximativement 32% des bureaux de votes observés.
S’agissant des mesures barrières contre le COVID-19
Indigo Côte d’Ivoire note que le gel hydro-alcoolique était disponible dans 97% des bureaux de vote visités conformément aux mesures préventives contre la propagation du COVID-19. Par contre, dans plus de 12% des bureaux visités, les agents électoraux n’ont pas exigé le port des masques pour accéder aux bureaux.
Fermeture des bureaux de vote et dépouillement
A la fin de la journée, les observateurs avaient l’instruction de revenir au bureau de vote où ils ont observé l’ouverture afin d’y suivre le dépouillement. Malheureusement, certains de nos observateurs ont été refoulés des bureaux de vote lors du dépouillement. Le dépouillement a eu lieu immédiatement après la fermeture dans la majorité des bureaux visités.
Le résultat de chaque bulletin de vote a été lu à haute et intelligible voix dans tous les bureaux observés et les résultats ont été simultanément inscrits sur les fiches de pointage. A la fin du dépouillement, les agents électoraux ont procédé à l’annonce des résultats officiels et ont systématiquement noté les résultats sur les procès-verbaux de dépouillement.
Les représentants des partis politiques du pouvoir, de l’opposition et des listes indépendantes ont continué à suivre le dépouillement dans les bureaux de vote après avoir observé les opérations de vote. Des observateurs indépendants ont aussi suivi le dépouillement dans une bonne partie des bureaux de vote observés. Dans 4% des bureaux de vote observés par Indigo Côte d’Ivoire, les représentants de candidats se sont opposés aux résultats officiels et ont refusé de signer le procès-verbal de dépouillement. Des cas d'incohérence entre le nombre de signatures sur la liste d’émargement et le nombre de bulletins dans l’urne sont la cause majeure de ces désaccords.
Après le dépouillement, le procès-verbal a été scanné dans 86% des bureaux observés et des copies ont été données aux représentants des listes candidates. Par ailleurs, Indigo déplore que dans 26% des bureaux observés, la copie du procès-verbal n’ait pas été affichée au bureau de vote.
Les incidents critiques
190 incidents critiques ont été rapportés par les observateurs le jour du scrutin, contrairement à l’élection présidentielle qui en avait enregistré beaucoup plus. Néanmoins, ces incidents bien qu’étant des entorses au processus électoral ont une portée mineure, car étant des cas isolés. Nous nous attarderons ici sur les cas les plus pertinents.
Les observateurs d’Indigo-Côte d’Ivoire ont observé 32 cas de refus d’observer aux observateurs accrédités de Indigo pendant toute la journée du scrutin. Dans certains cas, nos observateurs ont pu rejoindre les bureaux de vote grâce à la collaboration avec la Commission Électorale Indépendante.
34 cas de dysfonctionnement du kit d'authentification biométrique ont été rapportés à différentes heures de la journée à Abobo, Cocody, Agboville, Adzopé, Alépé, Bouaflé, Bouaké, Boundiali, Didievi, Divo, Doropo, Jacqueville et Korhogo.
A Bouaflé, une urne a été détruite par des personnes non-identifiées, armées de machettes et de gourdins. Par ailleurs, dans un bureau de vote à Oumé, des individus non-identifiés ont emporté tout le matériel électoral y compris l’urne.
23 cas de violence et d’intimidation contre des agents électoraux ou des électeurs ont été rapportés à Abengourou, Abobo, Anyama, Cocody, Port-Bouët, Aboisso, Béoumi, Bondoukou, Guiglo, Lakota, Oumé, Yamoussoukro, Facobly et Zuénoula.
Observation des discours de haine en ligne
S’il apparait que plusieurs discours de haine aient été collectés le jour du scrutin législatif, il n’en demeure pas moins que les formes les plus graves tels que les incitations au meurtre et autres appels à la révolte soient en baisse par rapport à la quantité de données collectées lors de la présidentielle.
Au total 154 discours de haine ont été collectés la journée du 06 mars 2012. Une hausse (+24,67%) par rapport aux 116 discours de haine qui avaient été collectés le 31 octobre 2020 lors du scrutin présidentiel. Toutefois, cette hausse générale est à nuancer avec la baisse observée (-63,63%) s’agissant des incitations à la haine/à la révolte, forme la plus grave des 10 types de discours de haine identifiés par l’observatoire.
Les types de discours de haine en ligne les plus dominants se rapportent aux injures/diffamations (72), xénophobie/propos à caractères identitaires (35) et animalisations (24). Lesdits discours ont été repérés sur 18 espaces identifiés parmi les 128 observés par l’observatoire.
Observation de la désinformation en ligne
L'équipe d'observation de la désinformation en ligne a collecté une vingtaine d'allégations via Facebook et WhatsApp. Elles concernent de présumés cas de violences, de fraudes et également d'annonces de victoires au sujet des localités d’Abidjan et celles de l’intérieur du pays. Il s’agit notamment de Yopougon, Port-Bouët, Plateau, Man, Agboville.
Après vérification aux moyens d'outils en ligne et avec l'appui des observateurs d'indigo sur le terrain, il ressort deux cas de figure de la désinformation électorale : l’intoxication et la propagande.
Certains de ces cas collectes se sont avérés vrais, mais n'étaient pas relatés avec précision sur les réseaux sociaux. Une allégation d'achat de conscience a été confirmée par les observateurs, de même que des cas de violences. Cependant les victoires annoncées sur les réseaux sociaux l'ont été sans données précises et en violation de la loi électorale et du Code de bonne conduite des partis et groupements politiques.
RECOMMANDATIONS
A l’issue de ces élections législatives, Indigo Côte d’Ivoire formule les recommandations ci-après :
A LA COMMISSION ELECTORALE INDÉPENDANTE
- Procéder à la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote dans un format analysable et ce dans des délais raisonnables avant la fin de la période des recours dans toutes les circonscriptions électorales favorisant ainsi la transparence des résultats.
- Veiller au renforcement continu des capacités des agents électoraux ;
- Veiller, pour les élections futures, à ce que toutes les décisions relatives aux documents d'identité requis pour voter soient rendus publiques à temps et fassent l’objet d’une large communication ;
- Veiller au respect du quota de représentativité des femmes dans les assemblées élues pour les prochaines élections ;
- Respecter le droit à l'observation des élections par tous ses démembrements en intégrant dans les formations des agents électoraux et des candidats et candidates, une session sur l'observation électorale. Ceci doit être compris par toutes les parties comme un pan essentiel à la transparence et à la crédibilité du processus électoral ;
- Veiller à la mise en adéquation du Code électoral avec la loi sur la représentativité des femmes dans les assemblées élues ;
AUX PARTIS POLITIQUES
- Ne pas diffuser de résultats avant la proclamation provisoire de ceux-ci par la Commission Electorale Indépendante et ne pas s’autoproclamer ou proclamer la victoire d’un candidat avant la proclamation provisoire par la CEI tel que prévu à l’article 13 du code de bonne conduite des partis et groupements politiques ;
- Utiliser toutes les voies de recours légales prévues par le code électoral et en informer régulièrement leurs militants et sympathisants en cas de contestation.
AUX POPULATIONS
- Demeurer calmes et éviter de relayer des fausses informations et des discours de haine sur les réseaux sociaux ;
- S'engager à l'approfondissement du processus électoral en exerçant de manière régulière leurs droits de votes qui passe par une inscription massive sur les listes électorales et au vote afin de légitimer les institutions démocratiques du pays.
Enfin, Indigo Côte d’Ivoire lance un appel à toutes les parties prenantes au processus électoral à redonner confiance aux populations afin de favoriser une participation plus accrue. Elle recommande aussi qu'avant les prochaines joutes électorales, des réformes consensuelles visant à améliorer les processus politiques et électoraux soient initiées.
Pour terminer, Indigo Côte d’Ivoire voudrait ici remercier la Commission Electorale Indépendante pour sa franche collaboration ayant facilité l’observation citoyenne par nos agents. Nous remercions aussi les médias. Enfin, Indigo Côte d’Ivoire réitère sa profonde gratitude à ses partenaires techniques et financiers notamment le NDI, l’USAID et la République fédérale d’Allemagne pour le soutien technique et financier.
Fait à Abidjan, le 07 mars 2021
Indigo Côte d’Ivoire