Le scandale du viol de l’institutrice à Sandégué, dans la région du Gontougo, à l’Est de la Côte d’Ivoire a été l’élément déclencheur de la mise à nue de la galère que vivent les fonctionnaires en général et les instituteurs en particulier, dans les villes de l’intérieur du pays.
Quelques jours avant ce drame, une enseignante, dans un coup de gueule, avait dénoncé le comportement de son inspecteur pédagogique qui lui faisait vivre la misère dans l’ouest ivoirien.
Les difficultés des instituteurs sont de plusieurs ordres, selon les témoignages qui ont fusé sur les réseaux sociaux.
Le premier, c’est la longue période d’attente avant d’avoir son rappel de paiement.
"Tu finis ta formation, l'état t'affecte souvent dans des zones reculées sans un sou. Tu peux passer facilement 12 mois, pour les plus chanceux, voire deux ou trois ans dans l'attente du premier salaire. Avant même de parler du rappel", a fait savoir un internaute.
Un autre instituteur, en service à Danané qui a requis l’anonymat a raconté le calvaire que lui et ses amis ont vécu après leur affectation. Pour lui, la misère, les dettes et la maladie constituaient leur quotidien.
"Après notre admission au Cafop, nous avons subi une formation théorique d’une année. Puis a suivi un stage pratique de deux années. Et enfin la titularisation. Le hic, c’est qu’après tout ce parcours, nous devons attendre un ou deux années pour se voir attribuer un numéro matricule. Ensuite avoir son premier salaire pour enfin avoir le rappel de deux ou trois ans de travail. Quant à nos collègues enseignants du secondaire formés à l’Ecole normale supérieure, à l’Injs et à l’Insaac, ils réussissent à avoir leur matricule seulement après trois mois quand ils finissent le stage pratique après l’année théorique", a-t-il fait savoir.
Il a tenu à cet effet, à remercier l'ensemble des établissements bancaires de côte d'ivoire pour les avances sur rappel octroyés aux nouveaux fonctionnaires.
Un autre enseignant, dans une publication sur Facebook, a fustigé le comportement des cadres de certains villages qui ne leur facilitent pas la tâche.
"Vous allez dans certains villages reculés sans un rond. Tout ce que savent faire les cadres du village c'est de dire aux parents et enfants "si tel enseignant fait ceci appelez-moi, je vais lui montrer qui je suis." Mais jamais ces cadres ne vont lever le petit doigt pour poser une action utile allant dans le sens de l'amélioration de l'école. Lorsque de son campement on a bénéficié gratuitement de l'instruction et que grâce à elle on a une certaine place sous le soleil, on doit un minimum de bon sens, de reconnaissance envers l'école qui a fait de nous ce que nous sommes. Un geste de reconnaissance par une réhabilitation d'une salle de classe, mobiliser les jeunes à taper des briques en terre cuite pour faire des briques et construire des logements décents pour loger ceux que l'Etat envoie pour servir nos parents. Dans certains villages les fonctionnaires sont les ennemis des villageois intoxiqués par leurs fils devenus grands types", a-t-il confié.
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Il notifie cependant que dans d’autres régions les enseignants sont bien traités.
"J'ai été un jour dans un village reculé de Gagnoa. J'ai été émerveillé et marqué par un fils de ce village. Il a fait construire des logements des maîtres donnant un cadre de vie décent aux enseignants. Ceux qui n'avaient pas de salaire pouvaient payer après. Les logements étaient à des prix symboliques. Tout enseignant qui venait dans le village pour la première fois pouvait dormir dans l'une des chambres de sa grosse maison qu'il a construite jusqu'à ce qu'un logement lui soit trouvé. Ce monsieur avait de l'argent comme plusieurs d'ailleurs mais il était l'un des rares à faire ce qu'il faisait", a t-il fait savoir.
Pour alléger la souffrance de leurs collègues, le 30 août 2020 à Abidjan (Songon), un syndicat du secteur éducation-formation (ESEF) réuni en assemblée générale, a fait part de la nécessité de demander aux autorités d’accélérer le paiement des rappels de salaires des instituteurs et de prendre des mesures adéquates pour que les salaires soient versés rapidement, notamment à ceux qui commencent leur carrière. Ce qui pourrait mettre fin à cette situation humiliante et dégradante avec son corollaire de difficultés qui ne semble pas préoccuper leur ministère de tutelle.
Outre le volet financier et les problèmes de logement, une institutrice affectée dans un petit village de la commune de Soubré a partagé avec nous sa souffrance des premiers jours de classe avec ses élèves du CP1.
"Les enfants qui viennent pour la première fois à l’école ne comprennent aucune langue à part leur langue maternelle. J’ai été obligée, pendant près de deux mois, de faire une formation linguistique auprès de certains anciens collègues et jeunes du village pour apprendre à dire certains mots des trois langues phares qui vivent sur ce sol. Les problèmes de barrières de langues sont une réalité à ne pas négliger", nous a t-elle confié.
Tous ces problèmes et bien d’autres font que de nombreux instituteurs font des pieds et des mains afin de se faire affecter dans des localités urbaines, au détriment des villages où les enfants ont tout aussi besoin d’instruction.
Solange ARALAMON