La confection des tenues mortuaires est un métier comme les autres
Parfois perçu comme une continuité de la vie, un passage d’une vie à une autre, ou encore la séparation du corps avec l'âme qui est immortelle, la mort est une réalité douloureuse qui s’impose aux hommes. La perte d’un être cher est un moment douloureux. Mais aussi de dépenses car, il faut rendre l’ultime hommage au défunt. En Afrique particulièrement, cela passe par des veillées funèbres, veillées religieuses, etc. Mais il y a aussi le choix du cercueil et de la tenue mortuaire. Sur ce dernier point, la confection et la vente de la tenue mortuaire est l’affaire d’un corps de métier qu’on retrouve très souvent autour des morgues. Qui sont ces personnes qui fabriquent et vendent des tenues pour les morts ? Comment sont-elles perçues dans la société ? Leur métier est-il rentable ? Faut-il un pouvoir particulier pour l’exercer ? Autant de questions qui nous ont emmenés à faire une incursion dans ce milieu.
Jeudi 28 avril 2022. Il est environ 11 heures. Le soleil est pratiquement au zénith. La chaleur est insupportable quand nous arrivons devant la morgue de Yopougon. En allant vers la cité Mamie Adjoua, venant de Gesco, à droite, pratiquement en face de la morgue, une première boutique attire notre attention. Des tenues dame en satin blanc avec ou sans motifs, d’autres sont brodées. Mais, au premier coup d’œil, on se rend compte que ce ne sont pas des tenues de soirée ou de sortie. C’est Mlle Eliane Yao, qui nous situera. Cette vendeuse de tenues mortuaires nous explique que ce sont des vêtements pour les morts. Pourquoi avoir choisi de vendre ce genre d’habits ? « Je fais ce métier depuis 2 ans. La raison de mon choix est le désir d’habiller les personnes décédées. Pour moi, il est vraiment important de faire plaisir aux défunts en leur mettant des vêtements neufs et agréables à voir », nous explique-t-elle, en reconnaissant qu’elle s’est tournée vers ce métier par manque d’emploi.
Un métier mal vu pourtant fructueux
« Les tenues sont à 25.000 FCFA pour les hommes et pour les femmes c’est à partir 25.000 FCFA. En tout cas, avec ce métier, j’arrive à m’en sortir. Je me retrouve parfois avec 100.000 FCFA ou plus par semaine comme bénéfice », nous fait-elle savoir. Mais, déplore-t-elle, certaines personnes la juge négativement et la fuient. « Parfois je suis dénigrée par les jeunes de mon âge qui ont peur de m’approcher. Car, pour eux, j’attire l’esprit de mort sur ma vie en faisant ce commerce. Ces personnes devraient changer d’avis car elles ont besoins de personnes comme moi pour habiller leurs morts », souligne cette jeune dame qui doit approcher la trentaine (elle a refusé de révéler son âge).
Quand le spirituel s’invite dans ce métier
Non loin d’elle, la boutique de Tony Juliette connue sous le nom de maman Tony. Cette dame, grande de taille, avec un teint noir nous accueille chaleureusement dans son atelier. La particularité de celle qu’on surnomme maman Tony, c’est la confection et la vente en gros des tenues mortuaires. Et cela, depuis plus de 10 ans. Cette quadragénaire dit ne pas avoir choisi ce métier mais, qu’il s’est imposé à elle. «Quelques années en arrière, alors que j’étais couchée, dans mon songe, des personnes ressemblant à des défunts sont sorties de leur véhicule et se sont arrêtées devant moi les mains levées, et cela s’est reproduit plus de 5 fois. Après avoir analysé et prié j’ai compris que c’était mon destin d’aider les défunts. Avant cela, je n’avais jamais fait de couture mais j’avais l’amour de la chose alors je m’y suis vite attachée », révèle-t-elle.
« Vous savez, tout le monde ne peut pas faire ce métier. Pour l’exercer, il faut que Dieu te choisisse et il faut avoir un bon cœur. Parfois je vis des expériences surnaturelles à cause de ce travail et si ce n’est pas parce que c’est mon destin, il y a longtemps que j’aurais perdu la tête. Parfois quand je dois confectionner les tenues de certains défunts, ceux-ci m’apparaissent pour me faire des suggestions. Ce n’est pas de la sorcellerie, je suis moi-même chrétienne catholique et ce don que j’ai, me vient de Dieu », nous dit maman Tony d’une voix timide.
Pour cette dame, la raison première de ce commerce n’est pas la recherche du bénéfice mais le désir de porter secours aux personnes en difficultés. « Ma plus grande satisfaction c’est le fait d’aider certaines personnes qui ont des difficultés à habiller leurs défunts. J’ai des tenues standards que je mets à la disposition de certaines personnes qui ont des problèmes financiers. Par moment ces personnes m’approchent ou de bouche à oreille je suis informée et quand c’est le cas, c’est avec un grand plaisir que j’offre des tenues gratuitement à ces personnes. C’est là ma plus grande satisfaction et la raison qui me poussent à demeurer dans ce métier », affirme Dame Tony.
Alors que nous sommes en pleine causerie, nous sommes interrompus par l’arrivée d’un client venu récupérer sa commande. Etant restée toute seule, je décide de m’approcher de M. Abou, assis devant la machine, en pleine confection d’une tenue.
M. Abou ou tonton Abou comme l’appel certaines personnes, est un ami de maman Tony. Couturier de profession, il vient donner un coup de main de temps à autre à son amie. Ce dernier confirme les dires de cette dernière en attestant qu’il n’y a pas de différence de métier. « Moi ça ne me dérange pas de confectionner des tenues de défunt et de vivant. C’est la même couture seulement que les tenues mortuaires, on ne les fait pas sur mesure et on tient compte de quelques détails. Les tissus utilisés pour la confection des tenues mortuaires sont les mêmes que ceux que l’on utilise pour les grandes cérémonies telles que les mariages coutumiers et civils et bien d’autres. Il n’y pas de tissu de mort ni de tissu de vivant », soutient M. Abou.
En ce qui le concerne, le seul dépit de ce travail c’est de voir la tristesse dans le regard des familles endeuillées, dit-il d’une voix triste. « Les regrets dans ce métier c’est quand on fini de coudre la tenue et que la personne endeuillée vient la chercher. Je la regarde avec compassion car je partage sa douleur », affirme tonton Abou.
Quelques instants après, dame Tony revient s’asseoir près de nous, histoire de continuer notre discussion. Tout comme Mlle Yao, notre première interlocutrice, maman Tony dit être mal vue par certaines personnes qui ne se gênent pas pour lui manquer de respect. « Il y a des personnes qui m’injurient quand ils me voient ou quand ils passent devant mon magasin, me traitant de mauvaise femme. Ils disent que moi je souhaite la mort des gens pour me faire de l’argent et ce sont des paroles qui me blessent car je ne souhaite la mort de personne. Je fais juste mon métier comme tout le monde. C’est un métier comme toute autre », dit elle avec déception.
Malgré le mépris de son entourage, maman Tony peut compter sur le soutien de sa fille qui l’aide du mieux qu’elle peut pour l’accomplissement de certaines tâches. Elle nous révèle également qu’en plus de sa fille, plusieurs autres de ses enfants lui donnent des coups de main par moments.
«Par la grâce de Dieu, ma famille a accepté mon choix et m’aide à réussir cette mission divine. La preuve en est que ma fille, étudiante, m’aide à confectionner les tenues pendant ses temps libres. J’ai un fils qui écrit les textes sur les plaques funéraires, mon mari vend les décoratifs de cercueil, il y en a un autre qui vend les gants », dit-elle avec joie.
Comme on le constate, la confection et la vente de tenue mortuaire est un métier ouvert dans lequel ceux qui y sont, tentent de d’imprimer leurs marques malgré les préjugés.
Florencia GUEU