La grogne autour des 5000 F fixés comme coût de la Carte nationale d’identité, n’est pas qu’un simple débat politique. Il s’agit en réalité du cri du cœur d’un peuple déjà étranglé par la pauvreté.
Jeudi dernier, pour connaître l’avis de l’Ivoirien lambda sur le prix officiel de la CNI fixé à 5000 F, Générations Nouvelles a interrogé, dans les rues d’Abidjan, un échantillon assez représentatif de la société ivoirienne. Dans leurs réponses parues dans nos colonnes vendredi, ils ont quasi unanimement rejeté ce coût.
Certains ont demandé la gratuité pure et simple de la CNI, relevant un paradoxe entre l’institution d’un tel montant maintenant, alors que la même pièce a été gratuitement établie pour plus de 5 millions de citoyens en en 2009, en pleine période de crise.
D’autres, moins radicaux, ont quant à eux, souhaité que le montant soit revu à la baisse. Cependant, tous ont mis en avant la pauvreté de la population ivoirienne. Une pauvreté montrée par les institutions financières les plus crédibles. En effet, dans son rapport le plus récent, la Banque Mondiale indique que la Côte d’Ivoire, classée 170e sur 189 pays en 2018, « se place en bas du classement de l’indice de développement humain dans le monde, publié par le programme des Nations Unies pour le développement. Après avoir fortement augmenté de 10 % à 51 % de la population entre 1985 et 2011, le taux de pauvreté a légèrement reculé en 2015, à 46 % de la population, selon la dernière enquête sur les niveaux de vie réalisée par la Banque mondiale ». L’institution ajoute que le pays « devra s’attacher à redistribuer davantage les fruits de sa croissance économique aux populations les plus vulnérables… » Cette mauvaise répartition des richesses, ajoutée à une gourmandise fiscale, contribue à accroître le coût des produits de première nécessité et des services de base. Le loyer, le transport, les soins médicaux absorbent l’essentiel des revenus des ménages. Quand ils ne sont pas étouffés par ces charges, les chefs de famille sont de plus en plus nombreux à se retrouver carrément au chômage pour motif économique. En mars 2018, Akin Olugbadé, directrice générale adjointe chargée de l’Afrique de l’Ouest à la Banque Africaine de Développement (BAD), révélait ceci :
Les chiffres de la galère ivoirienne
« La part cumulée des emplois vulnérables et des chômeurs dans la population active en Côte d’Ivoire se situe dans la fourchette entre 70 et 90% ». Le gouvernement ivoirien a régulièrement donné des taux largement en deçà. Quoi qu’il en soit, les cadres du parti au pouvoir, sollicités par des membres de la famille élargie en difficulté, sont les premiers à admettre, en privé, que le pays « est vraiment dur ».
Cette galère est bien illustrée par le classement de la Côte d’Ivoire qui se retrouve parmi les pays ayant un faible indice de développement (IDH) selon le Pnud. Il s'agit d'un indice qui mesure la qualité de vie moyenne de la population d'un pays. Il tient compte de trois dimensions du développement humain. D'abord, la possibilité d'avoir une vie longue et en santé en se fondant sur l'espérance de vie à la naissance. Ensuite, le niveau de scolarisation, évalué à partir du taux d'analphabétisme et de la fréquentation des différents niveaux du système scolaire. Enfin, le standard de vie, calculé à partir du produit intérieur brut (PIB) par capita (par tête) en tenant compte de la parité du pouvoir d'achat (PPA).
Dans le classement 2018, la Côte d’Ivoire occupe 170e rang mondial sur 189 pays classés, et le 35e en Afrique sur 53 pays. Elle arrive loin derrière le Cap-Vert (11e), la Namibie (12e), le Ghana (14e), le Kenya (16e) le Cameroun (21e). Les chiffres parlent, notre vécu quotidien également, que ce soit à Abidjan ou dans les villes de l’Intérieur. S’ils tiennent compte de ces réalités, nos gouvernants accorderont une meilleure attention au mécontentement des populations. Des populations qui, comme l’explique le député de Fresco Alain Lobognon, payaient déjà plus 5000 F pour les timbres, le transport et autres faux frais, dans la quête des pièces exigées pour l’établissement de la CNI. La source de la grogne est donc lointaine.
Cissé Sindou