Éclipsé par le duel entre Donald J. Trump et Joe Biden, le destin des élections ivoiriennes n’en est pas moins marqué du même fer. Malgré la victoire démocratique incontestable d’Alassane Ouattara, candidat à sa propre succession, l’opposition et en particulier Guillaume Soro continue d’agiter le chiffon rouge du complot, entre déni et fake news.
Depuis plusieurs semaines, le monde assiste avec effarement à l’épilogue douloureux des quatre ans de l’ère Trump. Cramponné au pouvoir, le président républicain a tout fait pour conserver son poste, quitte à mentir toute honte bue sur les résultats des élections.
Les dommages faits à la démocratie américaine sont brutaux : le clivage entre les deux Amériques s’est creusé, quitte à devenir irréparable. L’amère victoire démocrate est, hélas, loin d’être anecdotique : elle n’est que le prélude à plusieurs autres contestations électorales, où le populisme devient l’ennemi du réel. À plusieurs milliers de kilomètres de là, dans une relative indifférence des médias occidentaux, le même drame semble d’ailleurs se jouer avec, dans le rôle du pays en proie à la post-vérité, la Côte d’Ivoire, et dans celui du trublion trumpiste, un Guillaume Soro prêt à tout pour en découdre.
Le retour du seigneur de guerre
Pour qui connaît un peu la Côte d’Ivoire, Guillaume Soro peut difficilement être considéré comme son représentant le plus recommandable. Début 2010, à la tête de différentes milices contrôlant le Nord du pays et réunies sous la bannière des Forces Nouvelles, Soro le seigneur de guerre se serait adonné aux pires atrocités : supplice du container, assassinats de rivaux gênants, meurtres, trafics d’êtres humains… Passé entre les mailles du filet à la fin de la Guerre civile sur fond de réconciliation nationale, l’homme poursuit sa route dans la Côte d’Ivoire nouvelle. Un temps coutumier des manœuvres de déstabilisation à Abidjan comme à Ouagadougou, il semble s’être rangé sous le premier mandat d’Alassane Ouattara.
Pas pour longtemps hélas. À la faveur des élections présidentielles ivoiriennes de 2020, Soro candidat renoue avec ses premières amours : celles de la discorde. Pendant toute la période électorale, l’homme politique, dont la candidature ne sera jamais reconnue légalement, n’aura de cesse d’appeler à la sécession ou à la désobéissance civile.
Au lendemain de l’élection démocratique d’Alassane Ouattara, la situation devient paroxystique avec un appel à la mutinerie des forces armées. "Je vous demande de désobéir aux ordres illégaux et de vous joindre au conseil de transition national", commande, dans un ton plat, un Guillaume Soro sous fond de drapeau ivoirien. "Nous ne pouvons pas, par peur, permettre la dictature d'Alassane Ouattara".
Et avec ces mots, amalgamant une élection démocratique à une autocratie, Soro bascule dans une deuxième séquence, plus inquiétante encore que celle victimisante des débuts : le temps de la désinformation.
Fake news, le système Soro s’enrichit
Trump a-t-il inspiré Soro ? C’est la question que l’on est désormais en droit de se poser, au vu du déluge de fausses nouvelles que l’opposant ivoirien partage aujourd’hui. Tout comme Donald Trump, qui a longtemps adoubé sans en être à l’origine les thèses les plus conspirationnistes, Soro s’est fait une spécialité de partager les nouvelles les plus clivantes, à défaut d’être authentiques. Ainsi, il a joué un rôle notable dans la viralisation des faux cadavres de M’Batto, une infox fabriquée de toutes pièces sur la base d’un rapport de gendarmerie imaginaire. Il évoque, quelques jours plus tard, la décapitation d’un opposant présumé à Ouattara, enjoignant Amnesty International à agir à l’encontre d’un meurtre dont rien ne prouve qu’il soit lié, de près ou de loin, au politique. L’ONG ne semble d’ailleurs pas vouloir donner suite.
Dans le même temps, des profils de réseaux sociaux - pour la plupart anonymes - continuent de monter en épingle les cadavres virtuels de M’Batto, comparé à un petit Rwanda. Elles évoquent ainsi "pogroms", “génocides” et “guerre civile”, collant étrangement, au mot près, à la dialectique développée par Soro.
Ce climat de désinformation généralisée avait pourtant été anticipé par les grandes plateformes numériques. À peine entamée, la campagne présidentielle ivoirienne tanguait déjà sur ses appuis, avec une succession de fausses informations publiées via les réseaux sociaux - à tel point que l’entreprise Facebook a mis en place, avec un succès relatif, des garde-fous pour préserver le scrutin de la désinformation.
Sur Twitter, le basculement dans une logique trumpiste
C’est sur Twitter, toutefois, que la stratégie de Guillaume Soro semble se révéler. Dans une succession de tweets qui rappelle Donald Trump, mégalomanie et complotisme s’affichent ouvertement.
Le talent et la verve en moins, Soro engrange, à l’image de son modèle, les phrases choc. Sur son fil s’accumulent les accusations de viol de la constitution, les insinuations à un complot voilé, ou les révélations sur des assassinats politiques que les médias, forcément, dissimulent. Le totem néo-colonialiste n’est pas oublié, et Soro l’agite en prétendant que la France, en bon deus ex machina électoraliste, serait responsable du maintien de minorités politiques au pouvoir. Cible de son ire, les félicitations d’Emmanuel Macron à Alassane Ouattara - une manœuvre pourtant diplomatiquement ordinaire. “Les masques tombent”, commente celui qui, paradoxalement, se rêve en de Gaulle exilé.
Parallèlement, Soro retweete les messages des partisans les plus zélés, toujours à l’image d’un Trump connu pour relayer avec enthousiasme les saillies de ses ouailles. Les admirateurs de l’opposant politique voient en lui “le nouvel Edmond Dantès de la Côte d’Ivoire”, un “paria”, en lutte contre “un régime dictatorial" ou encore “le futur président élu de la Côte d’Ivoire”, celui qui reste “droit dans ses bottes”, “malgré l’acharnement du système”. Image d’un narcissisme déboussolant que Soro lui-même, par ses retweets répétés, adoube.
Cette lutte fantasmée de l’homme juste face aux apparatchiks d’un régime soi-disant dictatorial, soumis aux manoeuvres opaques d’un État profond, serait amusant si elle n’avait pas ponctué les quatre ans de la vie politique américaine et failli coûter son mandat au président démocrate élu Joe Biden. Alors que les médias internationaux semblent avoir pris à bras le corps le sujet des élections américaines, peut-être faudrait-il qu’ils en fassent de même pour celles des pays africains, fatalement seuls face à une désinformation intérieure en pleine explosion.
L’Amérique n’a, semble-t-il, été que le début d’une longue et pénible séquence, dont l’Afrique pourrait être l’acmé.